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Caligula, d’Albert Camus, mise en scène de Jonathan Capdevielle, au T2G / Festival d’Automne à Paris

Oct 09, 2023 | Commentaires fermés sur Caligula, d’Albert Camus, mise en scène de Jonathan Capdevielle, au T2G / Festival d’Automne à Paris

 

 


© Marc Domage

 

fff article de Denis Sanglard

 Arx tarpeia Capitoli proxima, la roche tarpéienne est proche du capitole, c’est bien à quoi l’on pense en découvrant la scénographie de ce Caligula de Camus, mise en scène avec une subtile intelligence, un sacré culot, un sens du décalage qui lui est propre, mais sans esbrouffe aucune par Jonathan Capdevielle. Une mise en scène maîtrisée, plus implosive qu’explosive. Un rocher donc, une calanque, où se prélassent avant l’arrivée de l’empereur l’assemblée des sénateurs. Avant de sauter dans le vide chacun leur tour, préfiguration d’une chute inévitable. Caligula où l’exercice du pouvoir, la pratique de l’art, la quête d’une liberté absolue jusqu’à l’absurde. L’arbitraire du politique poussée à son paroxisme comme un geste artistique, une mise scène, qui par force fait le vide autour de lui, soumettant avant de le sacrifier son entourage impuissant. Caligula où l’ambiguïté d’un personnage imprévisible, insaisissable, incontrôlable, s’enfonçant dans la folie de son utopie.

Jonathan Capdevielle a choisi de faire un montage entre les deux versions existantes, celle de 1941 et celle de 1958. Pour ne rien sacrifier au romantisme de la première mouture au regard du discours plus politique de la seconde. Romantisme noir et théâtre de l’absurde, sommes-nous tentés de dire. Qu’accuse le choix d’une esthétique qui commence comme La Dolce Vita de Fellini, passant par Le Satiricon du même, pour se terminer clairement du côté de Saló où les 120 journées de Sodome de Pasolini…

C’est une mise en scène monstrueuse, non dans le sens de la démesure, mais dans son exacte contraire, la retenue et la concentration. Il sourd une tension permanente que nul éclat de voix n’ose déchirer. Voix sonorisées, spatialisées (remarquable travail de Vanessa Court) pour que nous parviennent distinctement ce qui est proféré d’un ton assourdi, toujours neutre ou presque. Effet de déflagration garantie tant cette parole percute nos ouïes et nous parvient avec acuité. D’autant que Jonathan Capdevielle joue habilement sur le vide et l’absence, les corps se dérobant au regard, souvent hors-champs derrière ce rocher. On connait son art du ventriloquisme, cette appétence à dissocier la voix du corps. C’est ici radical et poussé à son extrême. Ne reste parfois que les voix, flottantes, en suspension, comme si la seule chose d’importance ici était le discours plus que ces conséquences. Ce qui entre dans l’histoire, y demeure, ce sont les paroles, non les corps voués à pourrir. Et c’est cette parole qui est mis en exergue par cette audace formelle.

Caligula administre son empire comme on philosophe et poétise, l’art oratoire n’ayant que faire des résultats concrets. Appliquant et détournant en cela la maxime de Cicéron, « On nait poète, on devient orateur ». C’est d’ailleurs flagrant ici qui voit les corps d’abord alanguis, bientôt flotter, se dissoudre, se décomposer, entrer dans l’ombre au fur et à mesure que les discours de Caligula se radicalisent. Lui-même n’y échappe pas. Ce que met en scène Jonathan Capdevielle c’est bien la perte d’une vision périphérique chez Caligula où plus rien n’existe autour de lui que lui-même enclos en sa rhétorique et folie. Folie ou simulation, jusqu’au bout l’ambiguïté demeure entretenue par Jonathan Capdevielle puisque tout ici est mascarade, jeux de masque et mise en scène de soi et du pouvoir. Et si quelque chose surgit sur le plateau c’est toujours comme par effraction, créant un effet de surprise, d’intranquillité. Intranquillité, pour ne pas dire terreur sourde, qui traverse l’ensemble des personnages, à l’exception de Scipion (Dimitri Doré) aux sentiments ambivalents envers Caligula et de Cherea (Anne Steffens) lucide et déterminé au tyrannicide, devant la versatilité de Caligula qui les révèle tel qu’en eux-mêmes dans leurs contradictions.

Jonathan Capdevielle incarne ce rôle mais n’en fait pas le monstre attendu. Loin du cliché, c’est un être inquiet, fébrile et lucide sur l’état du monde et conscient de ce qu’il entreprend, qu’il y a quelque chose de pourri en cet empire qu’il faut éradiquer, qu’il en est à la fois le symptôme et la purgation, sa catharsis. Sisyphe contemporain et conscient de l’absurde de notre condition et du procédé pour le dénoncer, dont il fera en conscience les frais. Pas pour rien non plus que l’expression revendiquée de son art, appliquée au politique, dans une scène inouïe et superbement grotesque relève ici du cabaret queer où il apparait tel Venus en drag-queen trash et outrancière. La scène cabarettiste étant de toujours l’épicentre d’une expression contestataire, sinon révolutionnaire, vision augmentée et acide d’une société en déliquescence. Jonathan Capdevielle le sait bien qui arpente régulièrement le cabaret sous la perruque de son avatar MacDonna… Son Caligula y puise ici aussi sa source. C’est donc un personnage bien plus complexe qu’il n’y parait dont la cruauté et la tyrannie relève plus du syllogisme, de la logique et de la poésie que d’une perversion. Caligula voulait qu’on lui donne la lune, considérons que Jonathan Capdevielle s’en est approché.

 

©

 

Caligula, d’Albert Camus

Conception et mise en scène : Jonathan Capdevielle

Assistanat à la mise en scène : Christèle Ortu

Musicien live et musique originale : Arthur B. Gilette, Jennifer Eliz Hutt

Son : Vanessa Court

Lumière : Bruno Faucher

Costumes : Colombe Lauriot Prévost

Atelier costumes : Caroline Trossevin

Scénographie : Nadia Lauro

Chorégraphie : Guillaume Marie

Régie générale : Jérôme Masson

Avec : Adrien Barazzone, Jonathan Capdevielle, Dimitri Doré, Jonathan Drillet, Michèle Gurtner, Anne Steffens, Jean-Philippe Valour

 

Du 28 septembre au 9 octobre 2023

Jeudi, vendredi, lundi à 20h

Samedi à 18H, dimanche à 16h

 

T2G Théâtre de Gennevilliers, C.D.N

41 avenue des Grésillons

92230 Gennevilliers

 

Réservations : 01 41 32 26 10

www.theatredegennevilliers.fr

 

 

 

 

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