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Cahier d’un retour au pays natal, de Aimé Césaire, mis en scène par Jacques Martial, Théâtre de l’Épée de bois (Cartoucherie de Vincennes)

Sep 29, 2022 | Commentaires fermés sur Cahier d’un retour au pays natal, de Aimé Césaire, mis en scène par Jacques Martial, Théâtre de l’Épée de bois (Cartoucherie de Vincennes)

 

 

© AKO – Audrey Knafo Ohnona

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Cahier d’un retour au pays natal n’est pas un texte de théâtre, c’est un poème en prose. Mais pas n’importe quel poème en prose. Et quand il rencontre un passeur à sa mesure, un conteur de la taille des non-vers du poète martiniquais, ce sont tous les peuples dominés de l’humanité qui se trouvent défendus à la hauteur des humiliations dont ils ont été jadis ou sont aujourd’hui les victimes.

Cahier d’un retour au pays natal est un cri de révolte, aussi déchirant sur le fond que sur la forme, car il se fait « la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche », la « voix » de « la liberté de celles qui s’affaissent au cahot du désespoir » et cela avec toute la richesse de la langue du pays oppresseur, c’est-à-dire la langue française. Il s’agit d’un « manifeste littéraire » politique qui a des allures d’odyssée surannée, une colère lyrique que l’on reçoit comme un « coup au plexus » (expression de Régis Debray dans la belle émission de l’été 2022 de la série « Comment les livres changent le monde » sur France Culture). S’il concerne évidemment au premier chef les peuples noirs, le Cahier d’un retour au pays natal a évidemment acquis au fil de ses remaniements une portée universelle.

Publié d’abord dans une revue confidentielle, Volontés, en 1939, alors qu’Aimé Césaire n’avait que 26 ans, le « Cahier » a ensuite été plusieurs fois réécrit (jusqu’en 1956) et le dernier état du texte est aujourd’hui disponible dans le recueil La Poésie, publié par les éditions du Seuil, ainsi que dans la jolie édition de poche de Présence africaine.

Avec Cahier d’un retour au pays natal, Jacques Martial ne fait qu’un. Tel un colosse errant, le comédien se saisit de ce texte exalté pour en faire une ode contemporaine que souligne son choix de mise en scène. Il trimbale ses grands sacs en polyéthylène tel un sans-abri, sur fond sonore de fermeture de portes de métro, il se couche partiellement sur eux, y trouve un sommeil agité, manipule leur contenu, étale certains des habits qu’ils contiennent pour dresser à terre une carte du monde bariolée. Un rideau peinturluré en fond de scène complète le décor et c’est tout. Parce que cela suffit. Avec les belles lumières de Jean-Claude Myrtil tout de même, qui matérialisent presque le temps qui passe, celui d’une nuit dans une station désertée d’un métro parisien, comme elle pourrait l’être dans une allée de bidonville de n’importe quel lieu dans le monde de refuge précaire.

La diction est parfaite, la voix passe par toutes les intonations que suppose le texte, le plus souvent puissante, parfois même vindicative, Jacques Martiel épelle presque certains mots, certains difficiles, ou rarement rencontrés (« alexitère », « sanie », « jiculi »…), dont les auditeurs et les lecteurs d’aujourd’hui ne connaissent pas ou plus le sens, même parmi les plus érudits. Parfois certaines phrases frôlent la rime. L’élégance du verbe dispute avec la grâce gestuelle du comédien, même quand il claudique en marchant, qu’il s’allonge sur le sol ou encore dressé tel une proue de navire combattant toutes les tempêtes de la vie, le torse ruisselant de sueur. Le comédien opère en quelque sorte une étrange personnification du texte et de son auteur, lui aussi artiste (comédien et metteur en scène) et politique (actuellement conseiller de Paris).

La transmission de cet « oxygène naissant » qu’est « la parole d’Aimé Césaire » (selon la jolie expression d’André Breton en dernière phrase de la préface de 1943) continue d’être ainsi idéalement assurée par la Compagnie de la Comédie noire et son Président, depuis plus d’une dizaine d’années à travers le monde et l’on espère pour encore de longues années après son escale à la Cartoucherie de Vincennes, dans cet écrin singulier qu’est le Théâtre de l’Épée de bois qui offre un lieu idéal de résonance pour clamer ce texte considéré comme l’œuvre fondamentale « de la génération de la Négritude » (Présence africaine).

 

© AKO – Audrey Knafo Ohnona

 

 

Cahier d’un retour au pays natal, de Aimé Césaire

Mise en scène : Jacques Martial

Scénographie : Pierre Attrait

Lumière : Jean-Claude Myrtil

Peinture : Jérôme Boutterin

Accessoires : Martine Feraud

Assistanat à la mise en scène : Tim Greacen

Avec : Jacques Martial

 

Durée 1 h 15

Jusqu’au 16 octobre 2022, du jeudi au vendredi à 19 h, samedi et dimanche à 14 h 30

 

 

Théâtre de l’Épée de bois

Cartoucherie de Vincennes

Route du Champ de Manœuvre.

75012 Paris

www.epeedebois.com

 

 

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