© Marianne Girardet
ff article de Denis Sanglard
Ce cabaret-là, tout nouveau, est l’antre chaud-bouillant de sorcières qui mènent en ce lieu un véritable sabbat. Victor-Victoria, nom judicieusement choisi mais trompeur, forcement trompeur car nulle confusion des genres ici. Cabaret menée tambour-battant par des filles, de sacrés meufs, se foutant du tiers comme du quart du male-gaze, se jouant effrontément des clichés patriarcaux qu’elles retournent promptement avec ironie mordante comme d’un long gant de soie jeté aux orties. Féministe avec évidence et sans ostentation, tout naturellement. Dans ce lieu qui abrite un autre cabaret, Le Secret, et dont elles sont toutes pensionnaires, y passant régulièrement, elles s’émancipent du quand-dira-t-on, jouant des codes de la féminité qu’elles subliment autant qu’elles les dézinguent joyeusement et sciemment. Le cabaret est le lieux de toutes les subversions, le burlesque l’expression d’une réappropriation d’un corps assumé, glamour ou pas, performance et manifeste féministe quoiqu’en en dise. L’impudeur et le rire sont des armes formidables contre la réaction de tout poil. Ici elles sont une sacrée bande de nanas, comme l’entendait Nicky de Saint-Phalle, talentueuses, oui, mais pas seulement : engagées avec tripes, le corps et la voix en avant. La parole y est furieusement libre, qui exprime crûment le désir consenti. Le corps y est libre qui exprime la conquête de soi libéré de tout préjugés. Qu’on y chante, repris sans barguigné par la salle, « j’aime la bite mais pas la tienne » ou encore « foufoune dans ta bouche », c’est sans doute drôle, un poil vulgaire – et tant mieux- mais vaut mieux, comme toutes sèches concisions, qu’un long discours tout en circonvolutions absconses. Le cabaret n’est certes pas pour les esprits chagrins. Qu’on se rassure, ce n’est pas à ces deux injonctions que se résument ce cabaret initié par la chanteuse Robi, la poètesse Madame et l’artiste burlesque et circassienne La Bellini (sur une idée du proprétaire des lieux). C’est bien plus subtil que ça qui voit, et c’est le propre du cabaret, se coaguler divers talents tout aussi subversifs mais qui posent une seule et même question, comment va le monde… Ce n’est pas ici qu’on trouvera la réponse mais plus sûrement un point de vue féminin ô combien abrasif sur notre époque foutraque. Si la femme est l’avenir de l’homme, elle se passe très bien ici de ce dernier.
Ouvrait donc pour cette première que l’on n’espère pas la dernière, La Bellini, fine et traqueuse maîtresse de cérémonie pour l’occasion et maîtresse femme tout court, strip-teaseuse contorsionniste dont le premier numéro de sirène sortie d’un tableau de Magritte, partie supérieure du corps étant celle d’un poisson, l’inférieure du ventre et des jambes, étonne par son refus du dévoilement classique. Ces jambes-là, effilées et tranchantes comme des lames de ciseaux, fouaillent l’espace sèchement comme se refusant à l’échouement. Image surréaliste comme « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » * ou comme celle d’un talon de 12 planté dans un camembert bien fait, celui de Madame. Madame, chanteuse-diseuse dont les textes dignes de Georges Fourest (l’auteur entre-autre du Géranium ovipare), d’un humour noir fortement poivré d’érotisme fétichiste, décadent et venimeux s’accompagnent de performances gastronomiques éclaboussantes aussi trash qu’inattendues. Âme sensible et palais délicat s’abstenir. Même talent foutrement outrageant que celui de La Chatignole. Petite fille à jamais perdue et (faussement) fragile de Zouc sans aucun doute, une sacrée présence surtout et une plume trempée dans l’acide, un univers kafkaïen, absurde, poétique et troublant qui n’appartient qu’à elle. Elle fait de son corps, crânement affranchi des canons, une impudique monstration qu’avec aplomb elle impose pour ce qu’il est, une saine et jubilatoire provocation. Virginia reprend à son compte les codes du burlesque, numéro érotique au réel capillotracté, puisque c’est suspendue par les cheveux, lévitant, qu’elle se dévoile avec élégance. Robi, âme délicate de ces lieux, qui chante si finement les amours en clairs-obscurs, les passions ébréchées même si « on ne meurt pas d’amour. » Accompagnée par Katel et Emilie Marsh, chanteuses et musiciennes. Katel qui chante ici comme un manifeste « qu’elles sont toutes autre chose (…) qu’elle veulent toutes autre chose (…) et qu’elles nous emmerdent », pied de nez sinon au cul du patriarcat. Ce qui a le mérite d’être clair et ne demande aucune réponse. Mais ça, ce n’est qu’un éventail des numéros présentés dans ce cabaret qui réservent de belles et étonnantes surprises dans la réinvention du genre. C’est encore fragile, comme les toutes premières fois, encore un peu foutraque, mais ça augure l’espérance d’un avenir. Et quand dans un bel ensemble, toutes elles chantent « Les filles d’aujourd’hui » de Brigitte Fontaine, cela devient un hymne à la sororité, la signature éclatante de ce cabaret.
*Lautréamont
© Marianne Girardet
Cabaret Victor-Victoria
Avec : Robi, Katel, Emilie Marsh, La Chatignole, La Bellini, Madame, Virginia
Le Truc du Père La chaise
17, rue Fernand Léger
75020 Paris
Prochaine date : le 11 novembre à 19h30
Réservation et renseignements pour les prochaines dates :
06 84 22 92 35
Victor.victoria.cabaret@gmail.com
comment closed