© Vincent VDH

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Le cabaret depuis quelque temps fait sa révolution, revient à ses fondamentaux, exprimer par la satire le monde comme il va, c’est-à-dire pas très bien ; une marche chaotique, un pas en avant, deux en arrière. L’exubérance des drags, king ou queen, l’effeuillage burlesque, la chanson satirique, n’étant pas autre chose qu’un miroir à peine grossissant de nos inquiétudes et questionnements, voire une réponse cinglante mais pailletée, emplumée, d’une folle et absolue liberté sur l’absurdité d’une société de plus en plus réactionnaire et libérale où les droits les plus fondamentaux, l’air de rien et à bas-bruit reculent. Et parce que la maison brûle et que nous regardons ailleurs, comme disait dans un bref et rare éclair de lucidité un ancien président de la république, Patachtouille, Julien Fanthou dans le civil et chanteur lyrique de formation, se définissant lui-même drag clown, personnage né chez Madame Arthur, met en scène aujourd’hui son propre cabaret avec cette originalité de mettre au centre de tout ça, l’écologie. Le regard aigu de ce maître de cérémonie, agrandi par le khôl et les faux-cils, sur notre société qui crame et explose est empreint d’inquiétude. Le Cabaret Patach ou la métamorphoses des pédoncules se veut le premier ecoloqueer cabaret, rien de moins. Non pas pour trouver des solutions, ça ce n’est pas de son ressort, mais pour exprimer ce qui traverse notre société, cette ecoanxiété qui nous laboure profond. Alors pour ce faire, et puisque nous avons les pieds bien plantés dans le fumier, Patach, perruque bouffante, barbe dorée de paillettes, et mules aux pieds, drama-queen en majesté invite sur la scène ses comparses, fantasques créatures interlopes de cabarets et de cirques, musicien(e)s, chanteureus(e)s, qui du genre se soucient comme d’une guigne, l’important étant le vivre ensemble et de mettre ici le feu, au figuré s’entend. Et devant cette toile immense signée Tom de Pékin, jardin d’éden perdu où folâtrent des créatures hybrides et non genrées, c’est une fête exubérante où la folie furieuse réchauffe non le climat, pour ça c’est déjà fait, mais la salle entière bien vite hilare. Sur ce plateau où trône un composteur, « le lombrikompost » (chose curieuse, il s’en dégage des bulles et non des vers), symbole d’un avenir voué au recyclage, on recycle justement les classiques des variétés remis au goût du jour, teintés de vert, pâle ou foncé. Et quelques créations originales, pas piquées des hannetons (signées entre-autre de la très sensible Bourette ou du maître de cérémonie lui-même). Patachtouille à la tâche, barytonne du Johnny Halliday ou du Higelin, du Prévert, ses propres compositions, comme une Castafiore échevelée qui aurait retrouvé sa voix et ses bijoux de pacotille. Bon, il est vrai que parfois on s’éloigne du sujet mais sans y perdre au change. Que le clown Fritz, lapin en tutu, chante Brigitte Fontaine, « je suis vieille et je vous encule » in Prohibition, questionne aussi la place des vieux aujourd’hui. Ou Martin Poppins sur un air d’ABBA revisité (« Dancing queen ») chantant les années SIDA et ses victimes anonymisées par une société se pinçant alors le nez, est un nécessaire devoir de mémoire. La salle ne s’y est pas trompée, soudain silencieuse. Bili Bellegarde (maîtresse de cérémonie au Cabaret La bouche) et Mascare, pour un duo lesbien, « je veux être une gouine heureuse », faisant fi de l’hétéronormativité de la chanson de William Sheller, affirme simplement et sans ambages la fierté d’être. Autour du mat chinois où s’enroule l’amazone en talon Juglair, tourne comme au manège des licornes insolentes. Lola Dragoness von Flamme, sortie tout droit d’un remake de Sunset Boulevard, chante ses rengaines amoureuses, entre-autre « Sans toi » de l’oubliée Michèle Arnaud, version Torch-song à la française, c’est-à-dire avec une classe folle et tout en retenue. Et au piano, multi-instrumentiste aussi, le professeur Glumol qui veille au grain et à la note juste. Le cabaret, c’est ça aussi, le fil rouge tendu parfois se relâche mais reste cette vision lucide du monde, hors-norme où l’excentricité frondeuse et l’insolence, l’improvisation maîtrisé et parfois le foutoir met le doigt là où ça fait mal et renverse cul-par-dessus têtes nos préventions absurdes et préjugés idiots. Patachtouille lanceur d’alerte ? Pas vraiment, même si Greta Thunberg reçoit ici un prix – on ne rigole plus ou alors franchement – mais ce Cabaret Patach’, loin d’être potache, affirme en chantant l’impératif et le courage du rire quand nous dansons sur un volcan et que fondent les glaciers. Et ça, c’est fichtrement  gagné !

© Vincent VDH

La cabaret Patach’ ou la métamorphose des pédoncules, mise en scène de Patachtouille (Julien Fanthou)

Avec : Patachtouille (Julien Fanthou), Cosmé McMoon *(Delphine Dusseaux), Glumom* (Guilhem Fontes) Mascare (Elisa Bernard), Bili Bellegarde (Alex Lacroix), Juglair (Sandrine Juglair),  Lola Dragoness von Flamme (Laurent Mercier), Martin Poppins (Mathieu Jedrazak), Fritz (Heinzi Lorenzen)

*en alternance

Toile peinte : Tom de Pékin

Création lumière et régie générale : Gilles Richard

Ingénieure son : Garance Pérachon-Monnier

Costumes : Lola Dragoness von Flamme

Collaborateur et collaboratrice artistique : Olivier Rey et Claire Méchin

Création scénographie, marionettes et accessoires : David Perreard

Vu au Manège de Reims – Scène Nationale le 4 mars 2023

Théâtre de l’Atelier

1 place Charles Dullin

75018 Paris

réservations : 01 46 06 49 24

billetterie@theatre-atelier.com

Tournée :

1er décembre 2023 : Le Carré du Perche, avec la Scène nationale 61, Alençon

13 janvier 2024 : Théâtre Molière, Sète, scène nationale archipel de Thau

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