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Both Sitting Duet et Rewriting, de Jonathan Burrows et Matteo Fargion, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

Sep 26, 2022 | Commentaires fermés sur Both Sitting Duet et Rewriting, de Jonathan Burrows et Matteo Fargion, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

 

 

 Rewriting © Urska Boljkovac

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

A les voir prendre place sur ces deux chaises à portée de public, on se dit de suite qu’un bon tour nous sera joué. Un tour de manège, un tour de prestidigitation, un tour de rien qui fera le tour de tout. Jonathan Burrows et Matteo Fargion suscitent et atteignent une telle proximité, une telle ouverture et disponibilité des uns pour les autres. Ils apparaissent sans coulisse, ils sont sans écran. In medias res. La présence et l’intelligence de ces deux performers, pas si éloignés des bienheureux, déploient le monde dans son immédiate et joueuse singularité. Une partie de cartes à deux qui ne cesserait de se rebattre au fil du temps. Les deux complices sont des compères de plus de vingt ans.

Commençons. Both Sitting Duet (2002). Nos deux danseurs en chaise de salon jouent la partition de Morton Feldman « For John Cage », pièce pour violon et piano. Musique minimaliste et répétitive, en trois mouvements. Musique au charme envoûtant, entêtant. Mais que nous n’entendrons pas. Jouer la musique doit se comprendre littéralement, comme des enfants inventant de nouvelles règles ou de nouveaux usages, puisque nos duettistes n’ont aucun instrument de musique entre leurs mains. Ils sont assis. Penchés sur leurs vieux cahiers à spirale, remplis d’étranges notations, ils scandent le temps qui passe de mouvements et de gestes de la main, des bras, comme s’ils filaient ou cardaient la laine d’une invisible poésie, comme ces deux femmes, elles-aussi assises dans la célèbre et énigmatique peinture de Velázquez (Les fileuses). Gestes simples qui se répètent et font farandoles d’actes quotidiens, se développent, s’accélèrent, se complexifient. En décalé, et plus rarement à l’unisson, c’est selon. Mouvements prosaïques, telles ses mains se jetant à l’arrière du buste assis, par-dessus l’épaule, par-dessus bord, délestés de leur signification anecdotique. Côte à côte, coûte que coûte, ils poursuivent leur partition avec sérieux et bonhomie. Arrimés à leur chaise, ils semblent s’être échappés d’une absurde comédie de Beckett. Le burlesque de cette danse assise, dénouée de tout sens, est au carrefour d’une ludique et sérieuse application à l’ouvrage et d’un labeur à la fois démesuré et enfantin parce que sans fin et sans raison, tel Sisyphe jouissant d’écoper à la petite cuillère. On ne sourirait pas autrement de les voir tricoter. Ils semblent rire, par instant, du mauvais tour qu’ils nous font comme deux enfants philosophes s’immisçant avec roublardise et gourmandise dans l’ennui de notre siècle. Si leur partition est muette, presque silencieuse, l’émotion exprimée sur leurs visages, comme à livre ouvert, chante une indicible joie à vivre, à être compagnon de jeu. C’est cette musique de l’âme qui illumine ces jeux de mains, que l’on n’appellera jamais plus jeux de vilains. Ces mains qui vont au travail, avec enthousiasme, ne se ménagent pas, s’élançant comme s’il s’agissait toujours d’une première fois, vaillantes et valeureuses.

Si Both Sitting Duet est de l’ordre du tricot… alors Rewriting (2021) serait de l’ordre du tripot. Jonathan Burrows joue carte sur table avec cette récente création, accompagné musicalement par le facétieux et délicat Matteo Fargion pianotant un clavier électronique Casio posé sur la même table. Chorégraphiant avec agilité et virtuosité la distribution d’une pile de cartes, Jonathan Burrows officie, dans le même mouvement, conférence débordant d’aphorismes et jeu de bonneteau. Passant d’un coq à un autre âne, mais guidé par une indéfectible jubilation, notre croupier distribue les pensées à travers ces tours de carte, qui sont autant de tours de magie. Exemple : how much spectacle can you take? ou encore : this card says : it’s a supid dance !

Il y a du Bouvard et Pécuchet, teinté de British humor dans le couple Burrows et Fargion. Les petites réflexions rejoignent celles sur l’univers, jusqu’à oser aborder à cette simple table, dans un autre sourire, physique ondulatoire et physique corpusculaire. La force de ces deux artistes incomparables tient à ce travail de miniature, où les détails infimes sont capables d’embrasser jusqu’à la cosmologie du monde, et nous font perdre pied : sommes-nous à la table d’un casino du quotidien ou bien dans un observatoire de l’existence ? Les pensées s’empilent comme un précaire château de cartes, surmontée d’un dernier Forget all this, et dans cette figure à peine soulevée, déjà menacée par la ruine de l’oubli, s’exprime toute la modestie d’un art on ne peut plus précieux et nécessaire pour aimer la vie.

 

 

 

Both Sitting Duet suivi de Rewriting, conception et interprétation, Jonathan Burrows et Matteo Fargion

 

Durée : 1 heure

Le 16 septembre 2022, à 20 h 30 et le 17 septembre à 20 h

 

 

Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette

9, rue du Plâtre

75004 Paris

 

https://www.lafayetteanticipations.com

Tél : +33 (0)1 42 74 95 59

 

 

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