© María Eugenia Serrano Díez

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Avec ce double programme de la chorégraphe et interprète norvégienne Mette Edvardsen, l’histoire ou la légende d’un peintre m’est revenue sans pouvoir retrouver le nom de l’artiste (s’agissait-il de Miró ?). Dans ce souvenir imparfait, il expliquait s’exercer mentalement à remplir progressivement un espace avec des objets, des êtres divers, puis, de la même façon, à le redépeupler en retirant un à un les éléments qu’il y avait mis. Sorte d’ascèse exigeante, travaillant à la fois la mémoire, l’imaginaire, et la vision intérieure. La démarche de Mette Edvardsen lui est finalement assez proche. Dans le dénuement monacal, anti spectaculaire, de la salle parfaitement vide des Laboratoires d’Aubervilliers, sol de béton, murs pendrillonnés de velours noir, lumière étale, Mette Edvardsen nommera différents objets, différents êtres, et même différents actes, sentiments. L’acte de nommer se fera dans la répétition : « table table table table table » comme un mantra. Dans cette répétition, modulée très platement, sauf une légère accentuation traduisant un rapport entre la locutrice et cette altérité, aucun rituel ni aucune tentative médiumnique de faire apparaître ce que représente le mot. Accompagné d’un geste ou d’un mouvement à peine mimétique, presque abandonné ou inutile, l’air de rien, cet emménagement du vide par une parole plate apparaît vite comme une gymnastique cérébrale bien aride. La table, la chaise, les plantes, le chien, le thé… : la vie telle qu’elle est épinglée est celle d’une domesticité. Depuis cette base modeste, Mette Edvardsen semble travailler à former une équivalence parfaite entre le nom de la chose, performé par une parole répétitive, et la chose, présentement absente, les mots étant manipulés comme des choses. En d’autres temps, Proust fit le chemin entre le nom des lieux puis entre les lieux eux-mêmes, découvrant par ce dernier trajet effectif ce que les noms seuls n’avaient pu lui révéler. Un raccourci tel un impensé que les mots lui avaient caché. Black n’offrira pas une telle épiphanie.

No Title part du point où l’a laissé Black. No Title évoque bien sûr cette convention d’apposer aux œuvres n’ayant pas reçu de titre par leur créateur ce titre qui en est la négation-même. L’énumération (en anglais) de ce qui n’est plus par Mette Edvardsen est ponctué d’un « gone » (« disparu » en français), aéré, léger, comme un souffle effaçant la dernière trace de ce qui fut. Ce jeu de massacre, par son effet de liste, par sa répétition du motif, se révèle étrangement comique, et construit paradoxalement quelque chose par sa déconstruction même. Si Black était désaffecté, au sens émotionnel, mais également au sens d’un lieu sans affectation, No Title œuvre poétiquement, sensiblement, par son écriture rhapsodique faite de portées de longueurs différentes, car pour annoncer une disparition, il faut encore identifier, préciser, nommer ce qui sera porté disparu. Cela peut se faire en un mot, ou par circonvolution. Alors que Black conduisait à un isolement de la performeuse, No Title nous incorpore dans son processus, comme si chaque nouvelle disparition nous prenait à témoin. Dans ce néant creusé mot à mot, paradoxalement, il y eut finalement un partage et un spectacle.

© Lilian Mestre

Black + NoTitle, création et interprétation de Mette Edvardsen

Durée : 25 et 40 minutes

Le 12 juin à 19h30

Les laboratoires d’Aubervilliers

41 Rue Lécuyer

93300 Aubervilliers

www.leslaboratoires.org

Tél : +33(0)1 53 56 15 90

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