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Betroffenheit, de Jonathon Young et Crystal Pite, danse-théâtre, Théâtre de la Colline

Juin 05, 2017 | Commentaires fermés sur Betroffenheit, de Jonathon Young et Crystal Pite, danse-théâtre, Théâtre de la Colline

betroffenheit

© Wendy D Photography

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

L’allemand « Betroffenheit » est intraduisible. Pointant vers la notion de choc, d’impact, voire de simple « rencontre » avec un évènement brutal, il ouvre le champ des possibles de la traduction : « consternation », « émotion », « tristesse », autant de mots que la langue française invente, adapte en contexte pour traduire ce terme, qui pourrait embrasser aussi les termes de « sidération » ou de « traumatisme »… Mot « ouvert », Betroffenheit est donc tout désigné pour proposer une exploration de ce que l’imaginaire du langage, et l’infinie palette des sentiments, peut offrir et, à ce titre, est l’idéal support d’un spectacle.

Cette Betroffenheit qui donne son titre à la pièce jouée à la Colline, après avoir été créée au Canada, est, apprend-on, celle de Jonathon Young, acteur canadien qui figure dans la distribution de ce spectacle de « danse-théâtre ». Une rapide recherche nous apprend de quoi il retourne : il y a quelques années, Young a perdu sa fille, âgée de 14 ans, son neveu et sa nièce, dans un incendie auquel il a assisté, impuissant à les sauver.

La forme de la danse – même si le spectacle comporte une trame narrative, parlée, qui lui offre une intrigue presque lisible – a sans nul doute été choisie à dessein par le comédien pour évoquer ce traumatisme si personnel et si indicible ; elle lui permet, de fait, de ne jamais le ramener à lui de façon obscène. Au spectacle, Young a apporté son histoire personnelle, mais surtout son savoir dramaturgique. Crystal Pite, de son côté, chorégraphe, lui a offert son habileté à faire parler les corps.

Le spectacle se divise en deux parties. La première, qui manie la répétition et la variation de façon virtuose, suit un homme – Young – enfermé dans un décor aux couleurs éteintes, à porte et fenêtres opaques. Il parle à une machine, semblant évoquer un mystérieux processus en cours (« it’s collapsing ») auquel il conviendrait de mettre un terme, impossible, visiblement. L’ensemble de cette partie sera une illustration de ce « collapse » en cours. Enfermé dans sa douleur, le personnage se réfugie dans le confort de sa chambre grise. De temps à autre, les portes s’ouvrent à grands battants et permettent l’irruption d’un imaginaire coloré et joyeux, mi-Broadway mi-cabaret berlinois. L’inconscient du personnage semble lui livrer un double, noir, avec qui il se lance dans un pas de deux épuisant. On veut redonner sa chance au traumatisé, lui permettant de rejouer son ancien numéro (sa vie d’avant ?) ou le pousser vers la sortie (il est brûlé par la douleur). Arrive ensuite un mini-Young, freak imagé de sa persona diminuée. Quelque chose se joue, théâtralement et spectaculairement, mais de façon déjà épuisée et désespérée, avant que le grand néant n’absorbe l’ensemble de ces visions. Entracte, et seconde partie : cette fois les protagonistes sont abandonnés dans l’espace immense du plateau, divisé en deux par un poteau immense qui s’évanouit dans les cintres. Les danseurs manquent de tomber, se rattrapent, se touchent, s’évitent, se reprennent. Il est temps de passer d’un « it’s collapsing » à un « it has happened », de la chronique d’un effondrement psychique à la première respiration qui suit le réveil d’un homme qui a décidé, ou a enfin réussi à reléguer son chagrin dans une pièce grise, où il ne reviendra que quand il le voudra.

Il est peu de dire que les tableaux imaginés par Young et Pite sont d’une grande beauté, que les numéros sont à couper le souffle, et que la partie « danse moderne » est d’une grande émotion également. On ajoutera que l’histoire, tragique et consolante tout à la fois, n’est pas dénuée de moments d’humour. La vie, en somme, dansée au bord du précipice.

Betroffenheit, de Jonathon Young et Crystal Pite

Chorégraphie et direction Crystal Pite – compagnie Kidd Pivot & Electric Company Theatre
avec : Bryan Arias, David Raymond, Cindy Salgado, Jermaine Spivey, Tiffany Tregarthen, Jonathon Young
Composition et conception sonore : Owen Belton, Alessandro Juliani, Meg Roe
Décor : Jay Gower Taylor
Lumières : Tom Visser
Costumes : Nancy Bryant
Chorégraphie supplémentaire : Bryan Arias, Cindy Salgado (salsa), David Raymond (claquettes)
Construction décor : Scene Ideas
Peinture : Patrick Spavor, Daniel Dumitriu
Marionnette : Heidi Wilkinson, Omanie Elias

du 29 mai au 2 juin 2017, du lundi au vendredi à 20h30
spectacle en anglais surtitré en français
durée 2h avec entracte

La Colline, avec Le Théâtre de la Ville
Réservations : 01 44 62 52 52

La Colline – Théâtre national
15 rue Malte-Brun
75020 Paris
www.colline.fr

Site du spectacle : http://www.electriccompanytheatre.com/show/betroffenheit

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