© Zhao Wang
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
« Sur huit cent trente-huit orgasmes, j’ai fait cinq cent trente-deux fois semblant » disait la prostituée au client dans le film de Bergmann De la vie des marionnettes. « L’idée de ton sperme dans mon corps m’était insupportable » dit Anna dans Bergmann Affair. Ce qui blesse le mari d’Anna dans ces mots, ce n’est pas l’aveu même, c’est la clarté dans laquelle il s’exprime. Tout est dit, tout est tellement cru que ça en devient opaque.
Bergmann Affair débute avec la confession d’une femme, Anna Bergmann, mère d’Ingmar, à son directeur de conscience sur l’adultère commis avec un jeune homme Thomas. A la fin le duo avec le confesseur se reforme mais la messe est dite, Anna reste seule, dévastée, elle cesse d’avoir peur de ce qu’elle sait. La pièce, comme dans Citizen Kane, se construit à coup de flashbacks levant petit à petit le mystère de sa vie.
Plus qu’une pièce sur le couple, Bergmann Affair raconte superbement, la quête proustienne de soi qui ne débouche pas sur la sérénité mais sur la vérité. Olivia Corsini est cette femme étrangère à tout par instants, étrangère à son mari, étrangère à sa communauté, une prisonnière qui cherche la lumière. Seul le public est destinataire de ses pensées adressées à un ami imaginaire ou à un psychanalyste. La comédienne est en état de grâce, présente en continue sur le plateau dans une mise à nu qui laisse éclater son désir et ses failles. Cérébrale et sensuelle, elle emmène son personnage aux limites de la mélancolie. Le mari et l’amant, excellents Régis Royer et Andrea Romano, ne font que passer de jardin à cour pour d’ultimes confrontations puis, vidés de leur sang, ils semblent s’évaporer dans l’ombre du plateau.
Serge Nicolaï, le metteur en scène, a fait le choix de l’épure et de la stylisation. S’inspirant du Bunraku japonais, il manipule par moment ses acteurs qui paraissent clivés, corps empêchés et esprits qui tentent de ne pas perdre le fil. Comme si le corps, siège de l’inconscient, réclamait son dû. Qui parle ? Qui manipule qui ? Ils ne sont plus quatre sur scène mais huit par cette mise en abyme saisissante du lien entre un metteur en scène et son comédien. « Personne ne sait mais tout le monde voit » disait Bergmann, la compagnie Wild Donkeys prend au pied de la lettre la remarque du réalisateur qui s’y connaissait en matière de double langage.
Un quatuor en quête d’auteur, et seule Anna réalise le manque de consistance de leurs existences régies par des codes mortifères. « Buvez du vin et ayez une chambre à vous ! » conseillait Virginia Woolf aux femmes : sur le premier point Anna a réussi, ira-t-elle jusqu’au bout de son émancipation ? Tout reste ouvert. Allez les voir !
© Zhao Wang
Bergmann Affair d’après Ingmar Bergmann, création d’Olivia Corsini et Serge Nicolaï
Mise en scène de Serge Nicolaï
Son : Emmanuelle Pontecorvo
Lumière : Elsa Revol
Durée : 1 h 30
Jusqu’au 17 décembre 2023
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche 16 h
Tournée en cours de finalisation
Cartoucherie
Théâtre du Soleil
75012 Paris
Réservation
01 43 74 24 08 (Tous les jours de 11 h à 18 h)
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