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Bérénice, de Racine, mis en scène par Muriel Mayette-Holtz, La Scala, Paris

Sep 20, 2022 | Commentaires fermés sur Bérénice, de Racine, mis en scène par Muriel Mayette-Holtz, La Scala, Paris

 

 

© Sophie Boulet

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Bérénice ne fait pas exception. Comme tous les grands textes classiques, on croit le connaître, ne plus rien devoir apprendre de lui, même s’il a pu être intimidant quelque fois. Si bien que c’est non sans crainte, ou peur de l’ennui que l’on peut se rendre à de nouvelles représentations.

350 ans (352 pour être exact) après sa première représentation à l’Hôtel de Bourgogne, Bérénice parle plus que jamais au public d’aujourd’hui. Dans sa préface et face à ses critiques, Racine réclamait que l’on ne s’intéresse qu’à « cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie ». Il est ici exaucé par la directrice du Théâtre national de Nice, qui l’y a créé et le reprend à La Scala à Paris. Muriel Mayette-Holtz s’éloigne de son maître Vitez qui avait monté Bérénice dans le plus grand clacissisme (en costumes XVIIIème) et emphase (notamment dans son propre rôle d’Antochius) en 1980 et c’est tant mieux.

Bérénice vu par Muriel Mayette-Holtz est un texte accessible et paraît incroyablement contemporain, pas seulement parce qu’il a subi quelques coupes. C’est le ton et la fluidité de la diction des comédiens qui semble curieusement transformer les vers en prose, sans que l’on en perde la beauté ou la poésie. L’émotion est bien présente mais sans ostentation, les gestes (à quelques exceptions près) sont mesurés, mais pas statiques (comme dans la mise en scène de Grüber à la Comédie française en 1984).

Dans un décor unique, respectant l’unité de lieu voulue par Racine, du cabinet situé entre les appartements de Titus et Bérénice, doté seulement d’un lit et de coussins ressemblant à celui d’un hôtel moderne, et de grandes fenêtres donnant sur un no man’s land, seules les lumières permettent de changer l’ambiance de ce lieu froid, impersonnel.

La bande son, tantôt très présente avec des mouvements de cordes (dignes d’un film mis en musique par un Michel Legrand influencé par Morricone), est parfois plus discrète, ne laissant jamais le texte seul et imposant imperceptiblement son propre rythme, comme pour retrouver une pulsation de substitution aux vers dont la rythmique a perdu de son habituelle évidence. Créée par Cyril Giroux, cette présence musicale subtile est très réussie et magnifie la présence des comédiens. En harmonie avec le décor et la scénographie, elle rend le spectacle incroyablement cinématographique.

La réussite tient aussi à la direction d’acteurs, lesquels excellent tous, à commencer par Carole Bouquet, majestueuse et hypnotisante comme à chacune de ses apparitions au théâtre et au cinéma, si bien qu’on lui pardonne les problèmes (auxquels elle ne peut d’ailleurs rien) d’une sonorisation imparfaite et autres broutilles. Ce n’est pas la première fois que Carole Bouquet joue Bérénice. En 2008, recouverte d’un voile vert-bleu assorti à une élégante robe fluide et légèrement drapée, elle donnait la réplique à Lambert Wilson, qui la mettait également en scène, au Théâtre des Bouffes du Nord. Quatorze ans plus tard, c’est dans une robe gris souris, élégante mais un brin sévère et talons hauts coordonnés qu’elle fait face à Titus en costume-cravate (noirs) aussi austère. En l’occurrence Frédéric de Goldfiem incarne avec une grande justesse ce nouvel empereur de Rome, qui préfère le pouvoir à l’amour. Quant à Jacky Ido, il représente tout en retenue (à l’exception d’une chute à terre excessive) et sensibilité, en dépit de son imposante carrure, Antiochus, l’amoureux éperdu qui se résout à cet « aveu téméraire », après s’être tu cinq ans, rôle loin d’être secondaire (n’en déplaise à Antoine Vitez), auquel Racine offre le premier monologue et le dernier mot, un simple « hélas » qui clôt la pièce et fait écho à la deuxième scène du premier acte (« Et que peut craindre, hélas ! un amant sans espoir Qui peut bien se résoudre à ne jamais la voir ? »).

Le faux triangle amoureux qu’est Bérénice et sa « simplicité d’action » (préface de Racine) ne conduisant aucun des protagonistes à la mort malgré l’appartenance de la pièce au genre de la tragédie, séduit en particulier dans cette production, et rejoint étrangement les jolis mots de Voltaire sur le cinquième Acte, qui est « en son genre un chef d’œuvre ».

 

 

© Sophie Boulet

 

 

Bérénice, de Racine

Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz

Décor et costumes : Rudy Sabounghi

Musique originale : Cyril Giroux

Avec : Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Augustin Bouchacourt, Eve Pereur

 

Durée 1 h 25

Jusqu’au 12 octobre, du mardi au samedi à 21 h 15, dimanche à 17 h 30

 

La Scala Paris – grande salle

13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Téléphone : 01 40 03 44 30

 

 

 

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