© Grégoire de Calignon
ƒ article de Denis Sanglard
Pour l’amour de Valérie Dréville. Combien de metteurs en scène trébuchent sur Bérénice de Racine ? Tragédie du vide, du néant. Le roi est mort, vive le roi. Titus n’épousera pas Bérénice. On ne se soustrait pas à Rome. C’est acté dès l’ouverture. Tragédie du renoncement. Ou Racine met à nu et à vif la passion amoureuse, l’amour fou sacrifié au politique. Un vide dramaturgique radical et volontaire mais un verbe exacerbé, un vers incandescent. Poème lyrique, la parole circule et avec elle la passion et ses enjeux. La construction dramatique ne tient et ne tire sa force que par cette circulation même, par ce verbe qui embrase ces deux sacrifiés à la raison d’Etat. Et dans ce néant-là, dramaturgique, s’engouffre et sombrent bien des intentions de mise en scène qui très vite se heurtent devant cette parole nue qui met à rude épreuve nombres de metteurs en scènes perplexes devant ce vide, tiraillés entre combler ou évider encore davantage… Sur ce plateau nu, cette antichambre, ce « cabinet superbe et solitaire », au sol pourpre, Gaëtan Vassart semble désemparé. Mise en scène presque absente, corps en déshérence, creux, livrés à eux-mêmes. La circulation sur le plateau demeure obscure, hasardeuse. Il y a bien une volonté de tenter quelque chose, mais quoi ? Tentation du vide sans aucun doute, d’être au plus près de cette circulation de la parole, de ses enjeux. L’échec tient sans doute à l’absence de mise en situation du verbe. Tout de fait semble étrangement figé, appliqué. Et puis ces bras qui parasitent ce qui est proféré, vous encombrent, qu’on ne sait pas trop quoi en faire, toujours suspendus au vide où agrippant, son partenaire… Quand ce n’est tout simplement pas raté par son incongruité. Ainsi cette danse, pastiche chorégraphique – involontaire ou pas – du café Müller de Pina Bausch, franchement incompréhensible et aux limites du ridicule tombant comme une poignée de cheveux dans votre vermicelle. Titus, Stéphane Brel, manque malheureusement d’épaisseur, de souffle, d’une ampleur tragique. Toujours au bord de son personnage qui semble lui échapper. Aucune difficulté à dire le vers, une ligne droite et claire, mais la scansion racinienne, l’ampleur du souffle et son rythme, celle qui fait éclore, exploser le sentiment, le nourrit, magie du vers racinien, lui est étrangère. Même si le vers nourrit l’intention il faut aussi le nourrir de l’intérieur, voilà le piège. Et c’est sans doute cela qui manque. C’est d’autant plus cruel que face à lui Valérie Dréville, Bérénice, irradie, incandescente, torche vive, toute entière à son personnage. Intelligence du vers, ampleur, souffle, voix, une présence sur le plateau qui tient au mystère, c’est pour elle, ce qu’elle offre de rare et précieux qu’il faut venir. Venir entendre et voir, parce qu’ici les deux sont corolaires. Si Bérénice est exemplaire pour Racine, Valérie Dréville l’est pour le spectateur. Une véritable leçon de tragédie, une immense tragédienne. Tant de subtiles inflexions en un seul vers, la voix aux inflexions soumises aux sentiments, le corps de même, tout est signes et participe à l’élaboration sans concession d’un personnage, de son évolution, auquel elle se livre tout entière. Stéphane Brel est juste, rendons-lui justice, son personnage de même, mais n’est que cela. Valérie Dréville dépasse cette justesse pour atteindre une vérité, une profondeur troublante, réalisant en cela le souhait de Racine, dépouillant la tragédie de l’action pour en libérer le verbe. Valérie Dréville, parce qu’elle le met en situation, est ce verbe incarné. Et magistralement.
© Grégoire de Calignon
Bérénice de Jean Racine
Mise en scène de Gaëtan Vassart
En collaboration avec Sabrina Kouroughli
Scénographie Camille Duchemin
Costumes Camille Aït Allouache
Chorégraphie Caroline Marcadé
Lumières Franck Thévenon
Assisté de Eliah Ramon
Son Aline Loustalot
Vidéo Grégoire de Calignon
Assistante à la mise en scène Ella Gouët
Régie générale Luc Béril
Avec Stéphane Brel, Valérie dréville, Sabrina Kouroughli, Anthony Paliotti, Maroussia Pourpoint, Gaëtan Vassart
Du 14 au 24 mars 2019 à 20h
Le jeudi à 19h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h
Manufacture des Œillets
1 place Pierre Gosnat
94205 Ivry sur seine
Réservations 01 43 90 11 11
comment closed