© Courtesy Alex Majoli
Article de Denis Sanglard
Bérénice c’est la tragédie du vide où tout est acté avant même de commencer. Le roi est mort, vive le roi, Bérénice ne pourra rester auprès de Titus. Tragédie du néant que sublime la langue de Racine, lamento amoureux, cérémonie d’un adieu. Nulle action mais un dialogue unique sur la perte amoureuse. Un triangle amoureux où Titus aime Bérénice aimée d’Antiochus qu’elle n’aime pas. Las, de tout ça, il ne reste rien, strictement rien dans la mise en scène absconse de Roméo Castellucci qui évacue Titus et Antiochus, réduits à des ombres gémellaires muettes qui jamais ne côtoient Bérénice, laissée toujours seule sur le vaste plateau. Comme s’il fallait faire place nette pour Isabelle Huppert, non pour Bérénice, n’ayant pour partenaires… qu’un radiateur et une machine à laver. On se doutait bien qu’avec Roméo Castellucci cette tragédie allait être lessivée de sa gangue néoclassique, le texte promptement essoré, pour un univers avant tout performatif et plastique. Là, c’est franchement raté. Ne reste que la partition textuelle de Bérénice que déroule de façon quasi mécanique et distancié Isabelle Huppert, accusé par un micro HS et une voix trafiquée on ne sait pourquoi, inintelligible parfois dans des vociférations inutiles. Nulle incarnation, nulle émotion mais quelque chose de fabriqué, d’appliqué, d’artificiel pour tout dire… et qui ne convainc nullement. Pas facile il est vrai de dialoguer avec un radiateur quand tout ça manque singulièrement de chaleur. C’est bien ce qui est absent là aussi, l’interaction avec les autres protagonistes, son importance pour Racine, qu’une machine à laver ne peut remplacer. Cette mise en scène ressemble à un cahier de charge où Isabelle Huppert, coutumière du fait, se devait d’être au premier plan, phagocytant l’œuvre de Racine à son seul profit. Seulement c’est Bérénice que nous aurions aimé voir, avec elle souffrir, avec elle pleurer. Au lieu de ça le sort et la prestation d’Isabelle Huppert finit par nous être indifférent. Et la solitude de Bérénice devient celle du spectateur. D’autant plus que Roméo Castellucci s’embarrasse peu de Bérénice pour une mise en scène sans vraiment de lien avec l’œuvre, comme à son habitude purement visuelle et totalement hermétique, dont on peine à comprendre le sens et la finalité. L’impression agaçante d’avoir un emboitement de deux mises en scènes distinctes l’une de l’autre, liées artificiellement, sans vraiment de rapport, et qui dilue de fait la représentation dans son ensemble. D’un côté le lamento d’Isabelle Huppert qui, accordons lui cela, ne craint pas le ridicule, et de l’autre un rituel, recyclage des motifs obsessionnels de Roméo Castelluci se répétant pour ne pas dire se parodiant malgré lui et qui nous laisse ici de marbre, quand il ne nous agace pas, au regard des enjeux de la tragédie de Racine jetés aux orties. Ni Isabelle Huppert, ni Roméo Castellucci ne nous donnent accès à l’œuvre, chacun enfermé en eux-mêmes, nous laissant au bord, désolé et démunis, voués aux gémonies devant tant de prétention et de vacuité.
© Courtesy Alex Majoli
Bérénice, d’après Jean Racine,
Conception et mise en scène de Roméo Castellucci
Musique : Scott Gibbons
Costumes : Iris van Herpen
Assistant à la mise en scène : Silvano Voltolina
Collaboration à la dramaturgie : Bernard Pautrat
Costumière : Chiara Venturini
Conception maquillage et coiffure : Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo
Sculptures de scènes et automations : Plastikart Studio Amoroso et Zimmerman
Avec Isabelle Huppert, Cheikh Kébé, Giovanni Manzo
Du 5 au 28 mars 2024 à 20h
Dimanche 15h
Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt
2 place du Châtelet
75004 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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