Critiques, Evènements, Festivals // Batty Bwoy, de Harald Beharie, à La Commune – CDN Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Aubervilliers

Batty Bwoy, de Harald Beharie, à La Commune – CDN Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Aubervilliers

Juin 16, 2025 | Commentaires fermés sur Batty Bwoy, de Harald Beharie, à La Commune – CDN Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Aubervilliers

© Julie Hrncirova

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Sur une plateforme aux arêtes biscornues, allongée, recouverte de cuirs rouges rapiécés les uns aux autres, sorte de banquise en dérive d’un continent érotique perdu, un homme nu est accroupi. Visage invisible, impassible, sous un rideau de longs cheveux gris nattés. L’activité qui l’absorbe produit une sorte d’absence dans sa présence même. Pareil à cette femme affairée à sa toilette intime peinte par Edgar Degas (Le Tub), il est tout autant un animal blessé léchant sa blessure. Enfonçant une main de plus en plus profondément dans sa bouche, de sa salive il prépare un onguent pour s’en pommader le corps. Du crachat, de la bile, de ces humeurs disqualifiées par leur association aux mouvements de haine et de rejet, Harald Beharie, danseur et chorégraphe norvégien-jamaïcain, en renverse la valeur symbolique, en fait une myrrhe précieuse. Batty Bwoy travaille à la surface des signes dans la profondeur de l’humain.

En argot jamaïquain Batty Bwoy signifie : garçon cul. Insulte adressée aux homosexuels et autres personnes queer qu’il se réapproprie en l’épousant mot à mot. C’est un cul qui saluera chaque spectateur, tendu, offert, comme une main qui se presserait vers chacun. C’est un cul plus tard qui dominera la table dans une excitation animale, ruant dans les brancards de la bienséance, haletant, branlant de toute son âme, comme s’il mourrait de désir, comme s’il voulait dégonder la porte du monde à coup de boutoir, au risque de faire écrouler son piédestal. Harald Beharie fait audace de littéralité quand le monde s’entoure de métaphores pour se couvrir la face. Faire corps avec l’anathème, qu’il devienne emblème ! Harald Beharie prête le flanc, nous le met dans les dents. Batty Bwoy est notre mors. Le cul, viscéralement politique, quand la tête n’est plus qu’un hochet pendouillant. Avec cette révolution performée des signes, Harald Beharie fracture un réel rance, fait le grand ménage dans l’embourgeoisement mortifère de nos symboliques. On se dit ici qu’Artaud n’est pas un vain mot. On réalise, bouleversé sans en comprendre la raison, que le corps-effigie est capable de toutes les réparations.

Sur un plateau constitué d’îlots, où le public est dispersé et le quatrième mur annihilé, chacun occupant à part égale l’espace de représentation, il n’y a plus l’ombre d’une coulisse : le performatif s’impose aux vivants. Harald Beharie est un colosse dont la fragilité émeut. Ce Batty Bwoy, s’il se passe de mots, traverse de folles étendues aux émotions disparates. Batty Bwoy ne fonctionne évidemment pas par identification, la puissance d’exécution produit une sorte de compréhension tacite, d’évidente adhésion, nous devenons les commensaux d’une dévoration magique. Un festin nu. Cette table n’est plus la table d’exposition coloniale, elle devient une planche de salut où fuir l’assignation des hommes. Dans les stridences d’un rock progressif (Ring van Möbius), Harald Beharie s’élance dans une course folle, galopant, nous frôlant, il est un faune au milieu d’autres faunes insoupçonnés. Au son d’un sommier grinçant, nous sommes enfin la poussière soulevée par ses chevauchées extrêmes déchirant le lit des convenances.

 

© Julie Hrncirova

 

Batty Bwoy, chorégraphie et performance de Harald Beharie

Collaboration artistique / sculpture : Karoline Bakken Lund and Veronica Bruce

Composition musicale : Ring van Möbius

Sound designer : Jassem Hindi

Regard extérieur : Hooman Sharifi, Inés Belli

Durée : 1h15

Le 7 juin 2025 à 19h30

 

La Commune – CDN Aubervilliers

2 rue Edouard Poisson

93300 Aubervilliers

Tél : 01 48 33 16 16

www.lacommune-aubervilliers.fr

Programmation dans le cadre du Pavillon Jardin Atlantique imaginé par Calixto Neto, La Commune CDN et les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

 

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