© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ article de Sylvie Boursier
Le rêve américain n’est-il possible qu’aux dépens du Noir américain ? En 1965, au sein de l’amicale des étudiants de l’université de Cambridge l’écrivain James Baldwin, fin analyste du racisme structurel aux Etats Unis, et William F. Buckley, intellectuel conservateur sont invités à débattre sur cette question. Ce type de débat, très normé, avec un temps de parole limité et ininterrompu laisse chaque orateur développer son argumentation jusqu’au bout. Les contenus de cet échange historique, transcrits par les étudiants, sont repris aujourd’hui au mot près par la compagnie Elevetor Repair Servive de New York, dans une mise en scène qui invite le public à vivre en direct le débat de 1965, sur des gradins à cour, à jardin et en frontal autour de l’arène. Nous sommes interpellés par les orateurs et ressentons combien, bien qu’américains tous les deux, ils ne semblent pas vivre sur la même planète.
La notion de « rêve américain » n’est définie par aucun des deux mais elle renvoie en général à un ensemble de droits assurant à chaque citoyen la possibilité de se réaliser comme il le souhaite.
Baldwin incarné par Greig Sargeant est d’emblée convaincant s’appuyant sur une expérience vécue « les ponts et les quais, les voies ferrées de ce pays […] donc l’économie n’auraient pas pu advenir sans une main d’œuvre bon marché, j’ai ramassé le coton, j’ai construit des ponts sous le fouet de l’oligarchie sudiste ». Pour lui le droit ne règle rien déconnecté des réalités sociales. Ainsi, même si le droit de vote existe pour tous, une minorité de noirs l’exerce compte tenu des inégalités en matière d’éducation, de mobilité, de logement, de services publics, qui génèrent défiance et haine de l’état.
Buckley, excellent débatteur au demeurant, met au centre de sa plaidoirie l’identité nationale et contourne le sujet « Il n’y a pas de remède miracle au problème racial en Amérique », juge-t-il, l’Amérique ne doit en aucune circonstance s’entendre dire que la seule alternative est de renverser cette civilisation, qui n’est autre à nos yeux que la foi de nos pères ».
Greig Sargeant est charismatique, il assène ses arguments calmement et ne bronche pas. Sobre, percutant, son Baldwin est magistral. Ben Williams, dans le rôle de Buckley ne peut s’empêcher d’afficher un certain dédain à l’écoute de son adversaire. Il maitrise les arcanes de sa discipline s’adressant directement à certains spectateurs, tantôt cabotin, tantôt interrogatif, souvent assertif. Un art oratoire de haut vol !
Tous les deux savent la puissance du verbe. Si l’Histoire donne raison à Baldwin, dans les faits rien n’a changé, il faut reprendre le flambeau, ne rien lâcher sur le fond, déconstruire le discours conservateur, c’est le message porté par la compagnie Elevator Repair Service.
A l’heure des clashs, du buzz, des lynchages sur les réseaux sociaux, la parole est vidée de son contenu, dialoguer est devenu synonyme de descendre en flamme et l’argumentation réduite au degré zéro de la pensée. Cette forme de théâtre forum, dans une scénographie épurée et magnétique, réhabilite la parole politique par la haute tenue du débat, nous amène à nous interroger sur ce que l’on ressent profondément lorsqu’on est victime de discrimination. Des liens se tissent immédiatement entre nous et ces deux monstres sacrés de l’école théâtrale américaine, Merci et bravo !
Baldwin and Buckley at Cambridge
Texte James Baldwin, William F. Buckley Jr., Lorraine Hansberry,
Spectacle en anglais surtitré en français
Mise en scène : John Collins
Costumes : Jessica Jahn
Lumière : Alan C.Edwards
Son : Ben Williams
Avec : April Matthis, Gavin Price, Greig Sargeant, Christopher -Rashee Stevenson, Ben Williams
Durée : 1 heure
Du 7 au 11 juillet
Gymnase du Lycée Mistral / Avignon
Réservations : www.festival-avignon.com
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