Critiques, Evènements, Festivals // Bala Funk de Smaïl Kanouté, au Théâtre du Garde-Chasse, aux Lilas, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, France

Bala Funk de Smaïl Kanouté, au Théâtre du Garde-Chasse, aux Lilas, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, France

Mai 21, 2024 | Commentaires fermés sur Bala Funk de Smaïl Kanouté, au Théâtre du Garde-Chasse, aux Lilas, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, France

 

© Vincent Rimbaud

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Jhordan Lunarte entre latéralement dans le silence et la lumière blanche : c’est à cru, sans musique, sans effets spéciaux. Comme pour une première rencontre (c’est d’ailleurs la première ce soir-là au Théâtre du Garde-Chasse aux Lilas), ne chargeons pas trop la barque, c’est le temps premier de l’apprivoisement. C’est assez beau d’ailleurs de ne pas démarrer en territoire conquis (ici les mots résonnent étrangement, juste dans un contexte postcolonialiste). Dans cette atmosphère presque monacale, à l’opposé de ce que l’on pouvait attendre et pour cela même troublante, le danseur brésilien enchaîne catwalk et capoeira, fusionnant les techniques de ce qui a priori semblerait antinomique : la capoeira, art martial particulièrement acrobatique dans les favelas brésiliennes, tirant ses origines du combat contre l’oppression esclavagiste et colonialiste, quand le catwalk est un élément du voguing, mouvement chorégraphique et esthétique, créé au sein de la communauté gay afro-américaine. Par cette réunion surprenante, et comme dans toutes celles que mettra en œuvre Smaïl Kanouté, le chorégraphe, notamment le Passinho mais également bien d’autres non identifiées, comme autant de passagers clandestins, la danse paraît se dépasser comme si elle faisait un pas de côté et s’ouvrait à d’autres discours possibles, comme si elle se reformulait. En cela le baile funk, puisque c’est ainsi que l’on nomme au Brésil de telles soirées où les genres se fusionnent, est véritablement passionnant.

Ils sont trois au plateau, autant de permutations possibles, comme dans un jeu de bonneteaux. Autant de lettres, de syllabes à articuler et à intercaler. Bala Funk, dans son économie, recourt à la puissance du signe. Langage des corps bien sûr, mais pas seulement : ainsi de cette séquence où les danseurs manipulent dans l’obscurité des lumières rouges et bleues, créant, aidés en cela par une bande, son idoine, l’illusion du passage d’une patrouille de police et de ses gyrophares. Les corps vibrent, tourbillonnent saisis par le danger et produisent leurs tracés lumineux comme des yeux aveuglés dans la nuit. Le corps racisé est affaire de politique et soumis à son bras armé, la police. La chorégraphie de Smaïl Kanouté n’aborde pas frontalement mais déporte plutôt ses questions comme une mise à distance critique, faisant assaut d’esthétique. Sa danse agit comme une alchimie, capable de transmuter la colère, la souffrance, la discrimination en or éphémère, aussi magnifique et fragile que des ailes de papillon mordorées. Dans ce rapprochement de la capoeira et du voguing, les pirouettes acrobatiques font des étincelles et revendiquent allègrement la roue du paon et les paillettes plutôt qu’une quelconque dissuasion martiale. Bala Funk est un glam plutôt qu’un glaive.

Ces trois-là, avec leur sensible entente, leur écoute joyeuse, leurs manières singulières de se faire leur place au plateau tout en écrivant ensemble ce langage commun, tracent une sorte de conversation épistolaire entre ici et là-bas à la manière de cette autre correspondance récemment publiée entre l’écrivain Patrick Chamoiseau et le musicien de jazz William Parker. Les corps s’agencent entre eux comme les lettres s’articulent pour se répondre. Les destins des diverses communautés noires de par le monde peuvent diverger, mais elles ont en partage une histoire originelle « à fond de cale » pour reprendre l’expression de Patrick Chamoiseau. Bala Funk entame avec justesse le dessin rhizomique des créativités multiples et décuplées de ces diasporas africaines. « Créativité du danseur qui retrouve, par les grâces de sa chorégraphie, les mémoires de son corps » précise encore l’écrivain on ne peut plus pertinemment.

 

© Vincent Rimbaud

 

 

Bala Funk, chorégraphie de Smaïl Kanouté

Danseur·euse·s : Smaïl Kanouté, Jhordan Lunarte, Severo Dos Santos

Collaborateur artistique : Moustapha Ziane

Créateurs son : Julien Villa & Paul Lajus

Scénographe et créateur lumières : Olivier Brichet

Régisseur lumière : Baptiste Barthel

Stylisme : XULY BËT

 

Durée : 60 minutes

 

Le 15 mai 2024 à 20h

 

Théâtre du Garde-Chasse

2, avenue Waldeck Rousseau

93260 Les Lilas

 

www.theatredugardechasse.fr

Tél : 01 43 60 41 89

 

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