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Bal masqué de Mikhail Lermontov, mise en scène de Marie-José Malis, à La Commune – CDN Aubervilliers

Fév 10, 2022 | Commentaires fermés sur Bal masqué de Mikhail Lermontov, mise en scène de Marie-José Malis, à La Commune – CDN Aubervilliers

 

© Willy Vainqueur

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Qui est un passager régulier du théâtre de Marie-José Malis sait que chaque projet est une odyssée, le paquebot et la voilure immenses. En pratique cela veut dire un temps de représentation hors norme, qui peut effrayer, qui peut tanguer. C’est un temps qui, s’il s’inscrit dans la représentation, s’écrit dans le rythme physiologique de la vie. Il s’agit d’en faire l’expérience. C’est aussi à chaque fois des paris audacieux, qui tiennent à une confiance ferme, absolue, comme une couronne, offerte à l’intelligence et au cœur de chacun. Pour cela, ce théâtre rejoint celui du Radeau.

Dans ce partage qui est la vie d’un spectacle, spectateurs et acteurs, s’attablent sous la même lumière se nourrissant de poésie et de pensée. Pirandello, Molière, Maxwell et aujourd’hui Lermontov.

Bal masqué. Lermontov donc. Marie-José Malis fait un saut dans l’inconnu. Car derrière ou devant ce drame romantique de la jalousie se trame le désarroi du réel. C’est étrange et prétentieux de le nommer ainsi, mais si jamais j’eus l’impression d’être dans la tête de Pessoa, ce fut ce soir-là. « Au diable l’apparence », « la vie n’est qu’un jeu de cartes », « la mort n’est qu’un instant, la vie toute l’éternité », Lermontov traduit par André Markowicz fait des merveilles. Lermontov questionne, traque la vérité dans chaque recoin de l’âme et du monde, composant une musique lancinante et entêtante en deçà du drame qui n’est au bout du conte que l’écume d’un ressassement proprement existentiel. Ce déphasage d’un réel qui ne serait plus crédible, qui ne serait qu’un jeu (de cartes), pour celui qui sait l’observer, transparaît dans les marques scénographiques de Bal masqué, qui, pour habituelles qu’elles soient dans le travail de Marie-José Malis, n’auront peut-être jamais autant joué pour moi de leur statut ambigu de décor fondu dans l’armature du théâtre.

Le théâtre et son double, sans aucun doute. C’est vrai aussi de la jalousie du héros Evgueni Arbenine produisant un monde double de symptômes conforme à ses angoisses, en décalque et décalage de l’autre monde.

Il me faut parler de cette atmosphère troublante qui se déploie dès les premières scènes : un joueur en train de tout perdre, puis un autre joueur le sauvant en remportant pour lui une mise encore plus grande. L’enjeu est de taille et une mise en scène classique renchérirait sur l’aspect dramatique de la situation. Avec Marie-José Malis et ses acteurs, la scène est au contraire livrée comme si son enjeu était ailleurs. Comme si elle avait déjà eu lieu. Comme si l’on arrivait après la bataille. Comme si ces péripéties habituellement au premier plan n’étaient qu’une musique de fond laissant entendre au creux de l’oreille du spectateur le silence et le vide de l’existence. C’est profondément fascinant, enivrant comme une drogue. Les scènes qui suivront au bal masqué portent encore plus haut et magistralement ce mille-feuilles de perceptions. Magnifiques costumes et masques échappant à l’imagerie esthétique pour quelque chose de radicalement performatif. On pense à l’univers malaisé de James Ensor. Etrange comme leur étrangeté nous regarde, comme elle nous immobilise. Un masque n’a ni rang ni âme. Les regards habituellement transparents et offerts du théâtre de Marie-José Malis prennent subitement une couleur lynchienne. Voici venu l’ère du soupçon : « A quoi bon vivons-nous ? »

La langue versifiée dans la traduction d’André Markowicz est magnifique, simple, et directe. Ce romantisme ne se fait pas d’illusion. Et si le paquebot tangua dans cette longue et belle soirée, ce fut probablement lors des quelques scènes développant la passion noire d’Arbenine, où, à force de vouloir faire exister chaque morceau du vers, la pensée se perdit ce soir-là dans ce morcellement de la parole qui ne menait plus à aucun port. Mais le voyage reprit bien vite et nous emporta dans un bouillonnement noir jusqu’à l’effondrement final. Le désespoir n’est pas de mise disent les joueurs de Lermontov. Il ne me restait plus qu’à miser sur Jean Eustache : Vous savez, le monde sera sauvé par les enfants, les soldats et les fous.

 

© Willy Vainqueur

 

Bal masqué, texte de Mikhail Lermontov (1835)

Traduction : André Markowicz

Mise en scène : Marie-José Malis

Avec Pascal Batigne, Virginie Colemyn, Juan-Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Saliha Gaci, Olivier Horeau, Mahamadou Marega, Adrien Marès, Laurent Prache, Sandrine Rommel, Marc Susini

Assistanat mise en scène : Sandrine Rommel

Scénographie : Jessy Ducatillon, Adrien Marès, Marie-José Malis

Lumières : Jessy Ducatillon

Son : Patrick Jammes

Construction : David Gondal, Adrien Marès et l’équipe de La Commune

Costumes : Zig et Zag

 

Du 5 au 17 février 2022

Mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30

Samedi à 18 h, dimanche à 16 h

Le samedi 12 février, la représentation sera suivie d’un échange avec l’équipe artistique

 

 

 

La Commune – CDN Aubervilliers

2 rue Edouard Poisson

93300 Aubervilliers

Tél : +33(0)1 48 33 16 16

www.lacommune-aubervilliers.fr

 

 

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