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Babylone, texte et interprétation de Maurici Macian-Colet, mise en scène Max Millet, au Théâtre Le Colombier à Bagnolet

Oct 20, 2022 | Commentaires fermés sur Babylone, texte et interprétation de Maurici Macian-Colet, mise en scène Max Millet, au Théâtre Le Colombier à Bagnolet

 

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

 

Dans la nuit noire, un homme en costume bleu, cravate sombre, campé sur un fauteuil de bureau. Il est grand, très grand, quand bien même ramassé sur son siège. Lorsqu’il se met à parler, son regard échappe, barré d’une ombre longiligne. Et ses doigts fins, et ses longues mains, tracent et découpent l’espace dans une procession de signes tels ceux que l’on voit sur les peintures religieuses. Plus précisément, Babylone nous apparait comme une toile du Caravage, Maurici Macian-Colet en est l’ange déchu. Comme chez le célèbre peintre, la foi, le miracle ou la chute, ont leur poids de chair, leur lot de regards aux abois. Le tragique est stupéfait du passage de l’instant.

Clair-obscur de notre époque. Maurici Macian-Colet écrit sa pièce furieuse et folle en partant d’une matière bien réelle : les stratégies de harcèlement que certaines entreprises, sanctionnées depuis par la justice, échafaudèrent pour pousser au départ une partie de leurs employés sans avoir à les licencier, générant des vagues de suicides sans précédent.

L’homme s’appelle Valmont. S’adresse à un avocat. Ses premiers mots, puissants, à la facture classique digne de l’épistolaire des Liaisons dangereuses, concourent également à nous plonger dans le tableau caravagesque : affliction, justice, consolation, mort, sont convoquées dans une langue éblouissante, méandreuse et nerveuse à la fois, qui nous entraine et ne nous lâchera plus pendant près de deux heures. Valmont, cela sonne étrangement dans le contexte du monde de l’entreprise, d’un manager dont la mission est de dégraisser les effectifs. Et pourtant, ce premier écart littéraire superposant ainsi les références, ne pourrait mieux suggérer les messes basses managériales, les stratagèmes vicieux et malveillants, les réunions aux allures de cabale. Si Valmont affirme préférer la métaphore de la chirurgie, plutôt que celle du sniper tirant sur le traitre et le déserteur, toutes deux obligeamment proposées par sa DRH, définissant ainsi en termes non voilés les missions de ses chefs d’équipe, c’est encore une autre matière textuelle qui se développe et s’étire comme une toile d’araignée, recouvrant l’esprit du spectateur dans une fuite narrative chevauchant cauchemar et grotesque d’un même galop. La force éthique et la justesse politique de Babylone est d’avoir pris le large vis-à-vis de l’insupportable novlangue qui a colonisé l’entreprise, qui est une langue de bois car elle manie le bâton sans le dire, qui est la fausseté faite langue. Maurici Macian-Colet s’extrait de cette matière mortifère et greffe sur cette base documentaire une langue épique, facétieuse, à l’humour trempé de noir, une langue truculente, et si Valmont confesse dormir avec le livre de Plutarque sur la vie d’Alexandre sous son oreiller, s’il semble obséder par la figure du grand stratège militaire, c’est encore une autre résonnance souterraine qui nous interpelle étrangement : celle de la littérature picaresque, celle du chevalier à la triste figure. Valmont, bourreau et victime à la fois dans cette chaîne de commandement, est un Don Quichotte sombre, éreinté, dévoyé, ne défendant plus la veuve et l’orphelin, mais prenant ses rêves noirs et grimaçants pour la réalité. Quant à l’entreprise, elle est un monde à part, ses dirigeants les chevaliers sombres d’une époque sans autres valeurs à défendre que celles cotées en bourse. Valmont fore la nuit de son récit glaçant comme un tunnel dans les limbes d’un cauchemar. Métamorphosé en insecte kafkaïen, il glisse sur ses roulettes étendant ses pattes sans quitter sa carapace.

Par cette magistrale réécriture d’un phénomène social, par ce dépaysement de la langue du crime vers une autre langue, classique et luxuriante à la fois, fécondée par les poètes qui l’ont précédé, Babylone, mis en scène efficacement par Max Millet et interprété avec virtuosité par Maurici Macian-Colet porte le fer dans le fondement même du monde de l’entreprise : dans l’ordre de son discours !

 

 

Babylone, écriture et jeu de Maurici Macian-Colet

Mise en scène : Max Millet

Collaboration artistique : Chloé Chycki

Dessins : Aurélia Elalouf

Durée : 1h45

 

Du 11 au 15 octobre 2022, du mardi au samedi à 19h30 sauf jeudi à 14h30

 

Théâtre Le Colombier

20, rue Marie-Anne Colombier

93170 Bagnolet

 

Réservations :

01 43 60 72 81

www.lecolombier-langaja.com

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