© Simon Gosselin
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Brecht avant Bertold a 19 ans quand il rédige une première version de Baal, loin de sa future théorie de la distanciation théâtrale ; ni dieu, ni maître, son poète maudit n’a rien de romantique, il éructe, provoque, jouit sans entraves, dynamite une société du paraître, de l’entre soi, un Gainsbarre à quat’sous, un Bukowsky « la bite en fleurs ».
Baal refuse de faire éditer ses poésies parce qu’il ne veut pas les « vendre comme des saucisses » ; il rejette la marchandisation de son art et brûle ses vaisseaux en errant de bistrots en tavernes. Sa quête est celle de la jouissance par l’alcool, le sexe, au milieu du petit peuple des bas-fonds, hormis ses échappées nocturnes sous « les ciels bleus, violacés », dans la solitude la plus absolue et l’immensité de la nature. Il s’inspire de ce plaisir immédiat pour écrire ses textes. On comprend assez vite que son échappée belle truffée de rencontres fulgurantes n’aura d’autre issue que tragique.
La mise en scène d’Armel Roussel, rock et festive, nous tend un miroir direct d’une société du spectacle à la Debord avec des comédiens qui interpellent le public, surjouent le trait d’esprit tandis qu’une pluie de feuillets tombe du ciel, à la saison des prix littéraires. Baal fouette ce petit monde, qui en redemande tandis que leur fausse gaieté accentue l’atmosphère glauque. C’est pas la noce chez les petits bourgeois qui s’encanaillent au fond des tripots peuplés de cochers de fiacre, de putains et de bucherons.
Ça joue collectif, organique, bachique et tragique avec un sens aigu du rythme, « Quatre boules de cuir, chantait Nougaro, et soudain deux qui roulent, répandant leurs châtaignes dans le cri de la foule ». Antony Riotte, jeune comédien au visage de Monsieur tout le monde s’empare du rôle-titre avec un naturel magnifique. Il donne à son personnage une humanité qui nous rallie à sa cause. On est avec lui, à corps et à cris. De tous les tableaux, il vient chercher le public, se met à nu concrètement et symboliquement, il grogne, crache sur le soft power bien-pensant et les idéologies. Il y a longtemps qu’on n’avait pas éprouvé une telle émotion face à un jeu spontané et sans filtre. Retenez son nom ! La troupe est avec lui, soudée. Ils sont tous excellents.
A la fin, Baal, ou plutôt son clone théâtral rejette la mort ; il s’échappe dans la nuit du bois de Vincennes plutôt que de subir le sort que lui réserve son dramaturge d’auteur, en clamant que le monde aura toujours besoin de poésie. L’art, seul moyen de transcender la laideur du monde, plus fort que la mort. Voilà le théâtre qu’on aime, subversif, anarchiste, jubilatoire. Qui provoque aujourd’hui ? La Tempête termine la saison en beauté ! Ecce Homo !
© Simon Gosselin
Baal, texte de Bertold Brecht
Mise en scène : Armel Roussel
Scénographie : Clément Losson
Musique : Pierre-Alexandre Lampert
Lumières : Stéphane Babi Aubert
Costumes : Odile Dubucq
Avec : Sigfrid Moncada, Romain Cinter, Emilie Flamant, Vincent Minne, Berdine Nusselder, Eva Papageorgiou, Anthony Ruotte, Lode Thiery, Uiko Watanabe
Durée : 2h30
Du 02 au 23 juin, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre de la Tempête Cartoucherie
Réservation : 01 43 28 36 36
Texte traduit par Eloi Recoing et publié aux éditions de L’arche 2022
comment closed