© Emmanuel Valette
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Il s’agit bien d’un « autoportrait à » et pas d’un « autoportrait de » créé il y a déjà cinq ans à Brest et publié aux Solitaires intempestifs ce printemps.
Autrement dit, c’est une mise en miroir à la fois personnelle, intime, familiale, sociale, artistique et politique où il est question de mémoire et de regard, de langage et de langue, de culture et de racines, de rapports de domination et de vulnérabilité, de transmission transgénérationnelle et de quête d’identité que propose Patricio Allio qui signe texte, mise en scène et interprétation. Une vie minuscule dirait Pierre Michon, mais portraiturée sans l’acidité ou la tristesse tragique du romancier français. Un hommage tout en retenue et sincérité à une culture populaire et une vie simple, et aussi au grain d’une voix de l’ « Ancienne » à travers des échanges complices, notamment sur la route en allant voir la mer, et parfois aussi à des silences où il n’y a pas de gêne. Patricia Allio donne ainsi à entendre des extraits de ses dialogues avec sa « mémé », entrecoupés d’une déclaration d’amour qu’elle lit au pupitre sur le plateau blanc aseptisé, équipé d’un seul ordinateur portable et d’un écran où quelques photos et vidéos sont projetés au gré de la progression de son récit qui semble parfois prendre des chemins de traverse ou buissonniers, autant de parenthèses ouvertes vers des considérations de natures diverses, mêlant témoignages prosaïques et réflexions savantes. L’appétence marquée et récurrente de Patricia Allio dans ses spectacles pour les réflexions universitaires ou scientifiques en regard de ce que l’on peut qualifier d’études de terrain se vérifie à nouveau dans ce seul en scène à la forme modeste, mais non moins documentée que son Dispak Dispac’h présenté au dernier Festival d’Avignon (et au Montfort en mars 2024), qui multiplie aussi les références artistiques (la pluridisciplinarité est une autre de ses légitimes et pertinentes obsessions), citant par exemple Kaurismaki requalifiant sa Trilogie du Prolétariat en Trilogie des Loosers pour mieux distinguer les pauvres des prolétaires.
Patricia Allio parvient à maintenir l’intérêt tout le long de sa performance, semblant passer pourtant parfois presque du coq à l’âne. Il est question bien sûr de l’histoire personnelle de cette grand-mère du Morbihan, orpheline très jeune et qui n’aura d’autre choix que de garder des troupeaux puis ramasser des pommes de terre à Jersey tout en fondant une famille à la suite d’un mariage arrangé, donnant raison au-moins quelques instants au constat à la Michelet de relents de XIXème siècle dans cette province française bretonne où la langue (les langues devrait-on dire) a été interdite, créant une « colonisation de l’intérieur ». Mais sont abordées également tous les dadas de Patricia Allio, qui aime à interroger et valoriser les minorités qu’elles soient culturelles, linguistiques, de genre, de sexe, de classe, trouvant de l’intérêt plutôt dans les marges courbes que dans les lignes droites et menant sa danse aux sens propre et figuré.
Finalement à travers tous les détours empruntés, c’est peut-être plus une auto-analyse au sens bourdivien qu’un autoportrait, dans lesquels le sociologue ne voyait qu’illusions, que Patricia Allio a esquissé, prenant directement le spectateur à témoin de cette introspection, face à laquelle toute personne qui cherche ou a cherché sa place un jour (dans l’esprit du formidable essai Etre à sa place de Claire Marin), se retrouve avec émotion quelque part.
© Emmanuel Valette
Autoportrait à ma grand-mère de Patricia Allio (texte et mise en scène)
Création lumière et collaboration scénographique : Emmanuel Valette
Avec : Patricia Allio
Jusqu’au 21 octobre 2023, à 20h du mardi au vendredi, 19h samedi
Durée 1h25
Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
www.theatredurondpoint.fr
Tournée : à Uccle en Belgique et à la Maison de la danse de Lyon en janvier 2024 et au Théâtre des Célestins de Lyon en octobre 2024
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