© Julie Masson
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Une création de Christoph Marthaler reste toujours, quoiqu’on écrive, une énigme. Aucune idée, n’échappe pas à cette règle. Rien que le titre déjà résume l’impuissance relative de la critique sur cette création en trompe l’œil. Car trompe l’œil. Dans ce décor qui évoque un entre-deux, palier aux multiples portes communicantes, où il ne semble y avoir aucune issue, aucun échappatoire, l’art de tourner en rond atteint ici un haut sommet phénoménal dans l’absurde et le surréalisme. Tenter de résumer ce qui se passe là, relève du défi. L’art de tromper l’ennui, de palier le vide vertigineux de l’existence, de cingler en vain le dérisoire d’un quotidien des plus mornes, on pourrait dire ça. Mais c’est bien plus retors. Ici les boîtes aux lettres vitupèrent des injonctions, éructent des bibles, crachent des prospectus à la pelle… Le radiateur crachote et glougloute salement avant de déclarer de vive-voix sa révolte et son indépendance. Les plombs sautent. A vrai dire, l’intérêt est ailleurs. Chez ces deux-là, Graham F. Valentine et Martin Zeller, qui habitent ce lieu au milieu de nulle part, familiers de l’univers de Christoph Marthaler. Le premier, grand échalas écossais, acteur et chanteur à l’occasion et le second, joueur de viole de gambe et violoncelliste baroque, acteur aussi à l’occasion. Duo improbable, voisins aléatoires, frères plus ou moins ennemis, dans cet espace où chacun tue le temps comme il le peut, ensemble ou séparément. On joue du Bach et du Wagner, du moins tente-t-on, chante du baroque anglais avec voix de haute-contre. On lit des poèmes étranges et insensés. On fête son anniversaire. Des phrases aux assonances singulières se métamorphosent en symphonie bruitiste pour un seul homme. On passe d’une porte à l’autre comme on abolie toute frontière. On pose des énigmes auxquelles on ne répond pas. On songe à cambrioler son voisin. On attend et on patiente et réciproquement. Il semble ne rien se passer mais, comme toujours chez Christoph Marthaler, dans ce rien c’est tout un univers brindezingue qui s’engouffre à bas-bruit et fait basculer la banalité et l’ennui dans le non-sens le plus absolu, le vertige métaphysique et la poésie la plus farfelue. Création sans queue-ni tête, jeu dada du marabout-bout-de ficelle, comme on veut, tout s’enchaîne malgré tout le plus naturellement du monde. Rien n’étonne plus et tout enchante. On ne trouve rien à y redire, au contraire, embarqués sans retour possible que nous sommes par ces deux-là, sérieux comme des papes. A vrai dire, cette création n’est qu’un magnifique prétexte pour le portrait-chinois de deux acteurs-chanteurs-musiciens emblématiques qui traversent impavides depuis longtemps l’univers de Christoph Marthaler. L’impression fugace sinon hallucinée d’être projetés sans effraction dans la tête de ces deux énergumènes, cerveaux ouverts à deux battants, sans qui le monde de Christoph Marthaler ne serait sans doute pas tout à fait ce qu’il est…
Aucune idée, conception et mise en scène de Christoph Marthaler
Avec Graham F. Valentine et Martin Zeller
Dramaturgie Malte Ubenauf
Scénographie Duri Bischoff
Musique Martin Zeller
Costumes Sara Kittelmann
Assistanat à la mise en scène Camille Logoz et Floriane Mésenge
Lumières Jean-Baptiste Boutte
Son Charlotte Constant
Du 1er au 14 novembre 2021
Théâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses
75018 Paris
Réservations
Théâtre de la ville 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
Festival d’automne 01 53 45 17 17
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