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Au pays du Nô et du Kyogen, à la Maison de la Culture du Japon

Mar 05, 2024 | Commentaires fermés sur Au pays du Nô et du Kyogen, à la Maison de la Culture du Japon

 

© association du Nokaku

 

fff article de Denis Sanglard

La Maison de la Culture du Japon à Paris proposait sur deux jours seulement une invitation au voyage, au pays de Nô et du Kyogen. Deux univers d’une tradition séculaire, exerçant la même fascination pour qui accepte cet « exercice de l’ailleurs » préconisé par Antoine Vitez, loin des clichés occidentaux malgré ses codes strictes, aussi obscurs nous paraissent-ils. Mieux même cette abstraction, cette épure, cette codification extrême dans sa forme, la symbolique des katas, ces gestes stylisés qui échappent même aux japonais contemporains, atteint une atemporalité plus qu’une sclérose. Le rêve d’Antonin Artaud moins la cruauté. Au nô le tragique, la sophistication, où dieux et kami (fantômes) cohabitent avec les vivants pour le meilleur ou le pire. Théâtre masqué où le chant, la danse, le dialogue et les instruments ne font qu’une seule et même partition. Au kyogen la comédie, joué sans masque, contant la vie quotidienne et l’absurdité de la nature humaine. C’est aussi un acte de transition reliant les deux actes de la pièce de Nô.

Trois représentations nous étaient proposées, pièces d’une grande diversité, Deux nô et un kyogen. Interprétées par des acteurs de premier ordre à commencer par les trésors nationaux vivants Tôjirô Yamamoto (acteur de kyogen), né en 1937, Genjirô Ôkura (tambour Kotsuzumi – tambour sur l’épaule), ainsi que le Shité (rôle principal) Tetsunojô Kanze, 9e du nom. Sa famille Kanze a hérité l’art de Kan’ami et de Zeami les fondateurs du nô au XVème siècle.

Tomoe, le premier Nô, raconte la rencontre entre le spectre de l’amante de Yoshinaka, qui n’est autre que Tomoe, femme guerrière, avec un moine. Tomoe raconte la mort au combat de son amant Yoshinaka. Pièce extraite du « dit des heike », unique pièce héroïque dont le personnage principal est une femme.

Litanies pour un dos droit, pièce de Kyogen, conte l’histoire d’un moine des montagnes de retour chez lui et qui dans sa volonté et par ses pouvoirs magiques tente de redresser le dos courbé de son grand-père.

Enfin Le fardeau de l‘amour où l’histoire d’un vieux jardinier s’occupant des chrysanthèmes à la cour de l’empereur Shirakawa, tombant amoureux d’une des épouses de ce dernier. Une condition lui fut imposée pour qu’il la rencontre, faire le tour du jardin et porter une petite boite. Malgré son apparence la petite boite s’avère impossible à soulever. Shojî meurt sous l’effort. Devenu démon pour hanter celle qui l’humilia il finit par lui pardonner et décide de la protéger.

Soirée exceptionnelle et pédagogique aussi. Parce qu’en préambule, outre la possibilité de découvrir le rituel de l’habillage d’un acteur de nô, aussi fascinant que son art, il nous était expliqué et traduit en français et non sans humour, par le jeune acteur de Kyogen Hiroaki Ogasawara, les arcanes de ces deux art ancestraux pour mieux appréhender la représentation. Représentation hypnotique des deux nô présentés par son hiératisme mais toute de vibrations infimes et captivantes dans la modulation singulière de la partition du shite. Le chant du chœur (jiutaï), profondeur des graves, qui semblait surgir de la terre pour le Nô, la pulsation sonore et puissante des tambours accompagné du cri des tambouristes (hayahi), une fixité captivante tant du shite que du waki -l’acolyte du shite -, une concentration et une tension extrême et envoutante où l’on ne perdait rien, malgré notre incompréhension de la langue, des sentiments qui agitaient chacun des protagonistes du Nô. Le masque lui-même semblait exprimer ce qui les agitait, les moindres variations d’une humeur changeante. Et le corps de se plier aux soubresauts des âmes tourmentées dans une épure, une économie du geste radicale.

Pour le kyogen, l’humour japonais déroute toujours un peu c’est vrai, mais l’énergie de Tôjirô Yamamoto, 87 ans, sa vitalité qui le fait bondissant comme un jeune homme avait quelque chose de proprement incroyable.

Encore une fois, l’étrange sensation d’appréhender un tout petit peu du mystère d’un art d’une grande sophistication, et ce malgré l’obstacle des katas, de la langue malgré les sous-titres. Et notre candeur. La force de cet art est sans doute là, par cette stylisation extrême et à condition de se laisser glisser dans cet ailleurs, de dépasser le signifiant pour exprimer juste le signifié dans sa profondeur, atteindre une universalité par la contrainte même de sa forme spécifique.

 

© Association du Nogaku

 

Au pays du Nô et du Kyogen :

Tomoe, Le fardeau de l’amour, Litanie pour un dos droit

Avec (artistes principaux) : Tetsunojo Kanze, Munekazu Takeda, Tsunezô Hôshô, Kishô Umewaka

Tôjirô Yamamoto, Gengirô Ôkura, Hirohisa Inoue, Hirodata Kamei

Surtitrage des nôs : Véronique Brideau

Surtitrage des kyogens : Dominique Palmé

 

Création vu le 24 février 2024

 

Maison de la Culture du Japon

101bis quai Jacques Chirac

75015 Paris

 

Réservation : 01 44 37 95 01

contact@mcjp.fr

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