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Au bord, de Claudine Galea, mise en scène de Marine Gesbert, au Théâtre de La flèche

Mai 02, 2023 | Commentaires fermés sur Au bord, de Claudine Galea, mise en scène de Marine Gesbert, au Théâtre de La flèche

 

© Jérôme Plon

 

fff article de Denis Sanglard

 

Tout part d’une photo, celle d’un scandale. La photo d’un prisonnier nu, tenu en laisse par une soldate, dans la prison d’Abou Ghraib, publié dans le Washington Post le 21 mai 2004. Un acte de torture scandaleux. Autre scandale, littéraire, celui d’écrire l’émoi provoqué non par cet acte monstrueux, mais celui érotique provoqué par cette femme. « L’homme je m’en fous, c’est elle qui m’intéresse. » Aucune complaisance pourtant devant la barbarie, nulle adhésion. Rien que l’acte d’écrire l’émoi et le scandale que provoque cette image. Cette charge érotique qui vous creuse le ventre, la violence du désir provoquée par cette femme qui tient en laisse cet homme nu et l’innommable de la situation. Cette photo devient un palimpseste ouvrant en Claudine Galea la nécessité impérative de l’écriture. De cette image nait d’autres images, se superposant les unes aux autres, effaçant couche par couche le sens premier et politique, évident et bientôt désamorcés pour n’être plus qu’un objet littéraire et dramaturgique âpre et rigoureux.

Ca parle d’amour, celui pour l’amante, de toutes les amantes que la jeune fille à la laisse évoque de façon obsédante. Ça parle du désir des femmes, d’homosexualité et du dégout des hommes. Ça parle de la violence des hommes et de la violence des femmes. Ça parle d’enfance et de désamour, celui d’une mère mal aimante pour sa fille. Ca parle du corps. Celui des femmes, celui de la mère, ceux pourrissant s’en allant vers la mort, ceux des victimes. Ca parle de la guerre et de la barbarie, Claudine Galéa n’éludant en rien l’ambiguïté de cette fascination amorale pour cette photo qu’elle punaise, dépunaise de son mur avant de la brûler et d’en jeter les cendres au vent. Du trouble et des contradictions irrésolues entre sa réprobation évidente d’un tel acte et la fascination qu’elle provoque sur le plan sexuel. Force et beauté d’un texte, de sa crudité, de son impudeur, de son écriture à l’os.

Alors, comment mettre en scène et jouer ce scandale, cette provocation en ce qu’il provoque en nous de trouble et de questions polémiques, réveillant notre propre part monstrueuse ? Pour Marine Gesbert ce texte est une obsession. Ce texte l’accompagne depuis longtemps, elle le dit, elle l’affirme, ça se voit, ça s’entend. Du plateau vidé de tout elle fait un formidable creuset pour cette écriture qu’elle investit corps et âme. Avec une simplicité désarmante qui sidère, elle dévide ce texte avec une telle évidence, sans esbrouffe, sans rien faire d’autre que de s’adresser à chacun de nous avec une conviction et un naturel qui nous désarme. Une présence habitée, renforcée, exhaussée par ce texte qui n’élude rien de sa violence mais se refuse avec raison au spectaculaire. La photo est là, au lointain du plateau, comme un rappel, mais nous sommes focalisés par celle qui, assise sans plus de façon, d’une voix presqu’égale, dit posément l’innommable et le scandale. De ce texte ardu elle en donne une lecture subtile, vertigineuse et d’une intelligence à vif qui vient du ventre. Et ça vous cisaille. Et c’est saisissant, bouleversant de vérité nue.

 

© Jérôme Plon

 

Au bord de Claudine Galea

Jeu, scénographie et mise en scène : Marine Gesbert

Collaboration artistique : Christophe Patty

Lumières : Véronique Boisi

 

Durée : 1h

 

Tous les vendredi jusqu’au 9 juin, à 19h

 

La Flèche

77 rue de Charonne

75011 Paris

 

Réservation : 01 40 09 70 40

www.theatrelafleche.fr

 

 

 

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