À l'affiche, Critiques // Atelier, de et avec Mathias de Koning, Damiaan De Schrijver, Peter van den Eede, au Théâtre de la Bastille

Atelier, de et avec Mathias de Koning, Damiaan De Schrijver, Peter van den Eede, au Théâtre de la Bastille

Oct 02, 2018 | Commentaires fermés sur Atelier, de et avec Mathias de Koning, Damiaan De Schrijver, Peter van den Eede, au Théâtre de la Bastille

© Jorn Heijdenrijk

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Et voilà un spectacle purement jouissif. Ils s’y sont mis à trois pour faire la paire. Une « polycoproduction », collaboration voir collision génialement foutraque entre Maatschappij Discordia, De Koe et Tg STAN. Un frottement où jaillit des étincelles. Soit réunis sur ce plateau branlant Peter Van de Eede, Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning. Pas la première fois que ces drôles de zigues se réunissent. Déjà leurs apparitions stupéfiantes pour Onomatopée dans ce même théâtre en avaient laissé plus d’un pantois dans ce répertoire délibérément burlesque. Mais pas que. Car sous le vernis épais et écaillé d’une comédie muette et totalement, en apparence, barrée, ces trois compères et complices dans un capharnaüm magistralement orchestré poussent encore un peu plus loin dans la folie leur raisonnement et leur questionnement sur le théâtre et l’art en général et même en particulier. Alors sur ce plateau qui ressemble furieusement à un radeau, et bientôt celui de la Méduse, fait de planches posées en hâte et de guingois, déséquilibre garanti, on bâtit un atelier comme on bâtit sa maison. Comme on fait son lit on se couche dit le proverbe. Et d’emblée, au vu de la pagaille qui s’installe, ça promet grave. Mais qu’est-ce qu’un atelier ? Et qu’y fait-on ? Dans ce lieu qui se construit cahin-caha dans le chaos absolu et sous nos yeux, avec trois fois rien, voire n’importe quoi, dans une cacophonie réjouissante et hilarante, où fabriquer une porte tient même de la performance farfelue et improbable, où peindre les lieux c’est peigner la girafe, où les objets les plus ordinaires jetés parfois comme boule de pétanque subissent d’étranges et stupéfiantes métamorphoses loin de leurs usages ordinaires, ces trois-là imperturbables continuent obstinément leur étrange et boiteux bonhomme de chemin, dézinguent à tout va, s’installent en ce lieu fait de bric et de broc, en équilibre instable, et comme chez eux y prennent le thé, brossent leurs sabots, s’empoignent par le fond de la culotte, parfois la bataille fait rage, et se réconcilient. Embrassons-nous Folleville ! Happening déjanté et dada (où l’urinoir qui trône ici serait une signature, un hommage à Marcel Duchamp), chantier de création, exercice de style, work-in-progress, tout ça à la fois sans aucun doute mais avant tout un manifeste d’une grande subtilité sous ce fatras, ce foutoir, ce chahut, ce charivari mené de mains de maîtres par ces trois augustes résolument muets, à l’exception de borborygmes abscons, où le processus de création est furieusement à l’œuvre. Car c’est bien de ça dont il s’agit, de l’élaboration d’une création aussi foutraque semble-t-elle. Car de tout ce bazar qui dévaste avec brio et éclats de rire le théâtre de la Bastille, où même les corps sont soumis à d’étranges mues, jetés eux aussi dans la bataille, s’élabore en tapinois, mine de rien, une œuvre qui bientôt surgit du chaos. Le théâtre, l’art en général, c’est bien ça, un chantier ouvert, une vaste entreprise de démolition et de reconstruction, faite souvent de rien, autrement dit de tout. D’un geste impromptu et maladroit faire un geste théâtral et déterminer un personnage, qui tout soudain se révèle, vous renverse et bouscule les perspectives. Faire et défaire, recommencer. Rater, rater encore et rater mieux pour citer Beckett. Et de ce néant et de ces échecs voir surgir La leçon d’anatomie de Rembrandt. Pas pour rien que nos trois malins au final font œuvre de citation. C’est bien à ça que nous avons assisté, une leçon d’anatomie où le théâtre, l’art est promptement dépiauté, énervé, écorché, itou et avant tout l’acteur, soumis à notre regard crédule. Une mise en abyme retorse et foutrement habile car c’est au scalpel justement que nos trois histrions, docteurs mabouls pour l’occasion, ont  dépecé par le rire ce à quoi nous n’assistons jamais. Donner à voir ce qui relève pour le profane d’un mystère. Et se donner à voir. Cet atelier de guingois et loufoque, c’est en somme leur propre cerveau en ébullition… Et dieu que ça chauffe !

 

© Jorn Heijdenrijk

 

Atelier de et avec Matthias de Koning, Damiaan de Schrijver, Peter Van den Eede

Costumes  Elisabeth Michiels

Technique  Pol Geussens, Bramù De Vreese, Tim Wouters

Production tg STAN, de Koe, Maatschappij Discordia

 

Du 1er au 12 octobre 2018 à 20h

Le dimanche à 17h, relâche le jeudi 4 et le mardi 9 octobre

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

 

Réservations 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

 

 

 

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