© Eyal Hirsch
ff article de Denis sanglard
Le corps comme cartographie d’un territoire en conflit et de ses conséquences. Territoire politique, sociale et intime – c’est du pareil au même – aux frontières poreuses, aux aspirations contradictoires. Entre volonté de domination, d’oppression, et aspiration à la liberté absolue au risque de l’exil. Et dans cet exil, ce nouveau territoire inconnu, trouver sa place, son foyer, sans jamais perdre son identité, et se confronter à la discrimination. Voilà grossièrement résumé, Asylum du chorégraphie israélien Rami Be’er. Qui donne peu de clef de compréhension et dont la chorégraphie nerveuse ne s’appesantit jamais sur son sujet. Au son d’une comptine israélienne, Uga Uga (« nous tournons en rond jusqu’à trouver notre place »), les dix-sept danseurs entre abstraction et expressionisme, gestes mécaniques réitérés, avec une énergie sans faille, entrent dans une zone de conflit, de turbulences où le collectif, d’emblée, est soumis aux lois d’un seul, hurlant au porte-voix ses ordres, réduisant l’ensemble à un seul matricule, 1227.
De cette masse contrainte, traitée comme telle, de très belles échappées, solo, duo et trio comme autant d’ouvertures sur un avenir possible, une aspiration rêvée sur un ailleurs, un exil ou un refuge. Refuge ou asile que peut être le couple pris dans la tourmente. Mais toujours, même au sein de ces instants de grâce fragile, demeure une tension interne, source d’une violence encore possible pouvant éclater et fracasser cette accalmie. Et ces fulgurances, ces coagulations sont brèves qui voit chacun très vite rentrer dans le rang, revenir au groupe, à la fusion collective.
Fascinant ici il est vrai est le travail sur la composition des ensembles où les corps sont désarticulés, déhanchés, de biais le plus souvent, les jambes arqués, les genoux pliés, mais toujours d’une rigueur impeccable dans l’unité et l’occupation de l’espace. Les mouvements passant d’une grande amplitude au geste le plus fin et subtil, le visage toujours expressif où revient comme un leitmotiv un long cri, de rage ou de douleur. Mais quelque chose pêche ici. Pour un sujet aussi sensible que celui-là, aussi dur sinon violent, l’exil et ses conséquences les moins avouables comme ses espoirs les plus ténus, cette chorégraphie offre peu de raucité, tant la technique l’emporte et offre au final peu de place à l’émotion. Il y a bien quelque chose de viscéral et d’explosif, de sensible, mais policé, corseté par cette chorégraphie qui laisse peu de place à l’épanchement, à la fragilité malgré l’engagement total des danseurs et la sincérité du propos. On rêve alors à quelque chose de plus âpre, de plus âcre qui pourrait nous bouleverser au lieu de rester tout au bord de quelque chose qui n’advient pas. Oui, c’est parfait il est vrai, peut-être trop.
© Eyal Hirsch
Asylum, chorégraphie de Rami Be’er
Directeur artistique : Rami Be’er
Univers musical : Rami Be’er, Alex Claude
Costumes : Rami Be’er, Lilach Hatzbani
Directeur répétitions et assistant directeur artistique : Nitza Gombo
Assistant univers musical : Eyal Dadon
Danseurs : Abrams Ayala, Beckerman Eden, Bessoudo Lea, Camarneiro Francisco, Civitarese Luigi, Cuoccio Francesco, Finkelstein Hadar, Garlo Nicholas, Gray Ward Grace, Kim Sujeong, Levi Dvir, Nikurov Ilya, Rheude Colette, Scott Denver, Serrapiglio Antonio, Vach Michal, Zuchegna Tommaso, Zvulun Orin
Du 12 au 15 juillet 2023 à 22h
Lycée Jacques Decour
12 avenue Trudaine
75009 Paris
Réservations : www.parislete.fr
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