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aSH, pièce d’Aurélien Bory, pour Shantala Shivalingappa, à La Scala Paris

Fév 23, 2019 | Commentaires fermés sur aSH, pièce d’Aurélien Bory, pour Shantala Shivalingappa, à La Scala Paris

ƒƒ article de Marguerite Papazoglou

 © Aglae Bory

aSH comme cendre et comme les sons qui dominent dans le nom et prénom de Shantala Shivalingappa, danseuse virtuose qui fait la jonction entre kuchipudi, danse du sud de l’Inde, et danse contemporaine, inoubliable dans Nefès de Pina Bausch ou l’Ophélie de Peter Brook.

Voir Shantala Shivalingappa danser est quelque chose d’irrésistible. Sa grâce est viscérale, elle vient toucher au plus profond de l’être : c’est immédiat et on souhaiterait que cela ne s’arrêtât jamais. La danse a lieu chez elle comme un état, avant toute composition. Une certaine expansion qui fait immédiatement surgir une sphère spirituelle, une puissance dans le déplacement, un corps délié où les lignes rapides et innombrables nous troublent la vue, c’est indescriptible. Devant un tel prodige, Aurélien Bory propose de regarder la lisière de pénombre, pratiquant une espèce d’éclipse par rapport à la pleine expression de la danse classique indienne. Voiler le soleil de cendre pour mieux le voir. Ainsi ce sera une danse dont la gestuelle de base sera celle du kuchipudi mais sans costume de couleur, sans grelots, sans maquillage, sans sourires, qui évoluera sous une lumière accentuant les ombres et avec une musique elle-même mixte assemblant électro et rythmes indiens, jouant sur les volumes et les timbres entre un son diffusé et les percussions jouées par Loïc Schild.

A cela s’ajoute l’élément de la cendre et un dispositif technologique qui meut le fond de scène, associé à un beau travail sur le son qui sculpte l’espace en transformant la consistance et donc la présence de ce fond de scène : mur texturé, machine métallique massive produisant des vibrations cosmiques, volume mouvant, partenaire musical venu de l’au-delà, voile séparant d’un souffle le monde des morts de celui des vivants ou enfin simple papier, pixels lumineux réagissant au rythme, et, à l’occasion d’un ultime changement de lumière, simple robot à pistons. Nous lui devons l’image extraordinaire et poignante d’une vague de plus en plus énorme, irréelle, qui se remplit et s’élève derrière la danseuse — volume venant donner corps à ce que Shantala projette de fait dans l’espace au dessus d’elle — comme si tout l’espace devenu palpable allait submerger la salle. Cette vague qui finit par arriver au dessus d’elle s’évanouit dans cette rencontre et la laisse impassible dans une danse guerrière, rapide et lente, tout en cercles et en coupes acérées.

On pourrait dire que la pièce à l’instar de la danse est régie par la figure de Shiva. Le nom, présent dans la feuille de salle, éveille automatiquement une série d’images. Shiva(lingappa) création et destruction ; Shiva l’ascète qui se couvre de cendre ; Shiva assis en lotus les yeux mi-clos ; Shiva le danseur. Tout cela est incarné dans aSH. Non pas de façon illustrative mais, à travers une mise à nu tant de la danse ancestrale que des fards de la pièce elle-même, dans l’effort de faire affleurer l’intériorité de cette danseuse et la vérité universelle qu’elle touche. Avec un regard toujours intérieur ou détourné des spectateurs (à l’opposé de la danse originale du kuchipudi qui prend à partie le public dans les parties narratives ou s’appuie toujours du regard face pour créer les trajectoires dans les autres directions), avec l’introduction d’une inclinaison de la tête vers le sol (qui donne une image de transe ou de lutte intérieure), Shantala renverse le rapport originel : la danse n’est plus détentrice de la vérité, la source ruisselant vers le public buvant les paroles et les gestes sacrés, à présent nous voyons la danseuse.

Shantala Shivalingappa passe un long temps dans des gestes répétitifs dessinant au sol un mandala de cendre géant, aussi hypnotique qu’ingénieux, traduisant graphiquement la danse et la musique et donnant corps à ce qui habituellement est impalpable. Mais le sol se relève et de cette danse il ne restera rien hormis quelques traces de pieds sur des endroits un peu plus humides. C’est ainsi, Shiva danse et détruit. Mais cela n’est-il pas un attribut de toute danse ? La danse fend l’espace, se crée en détruisant à chaque instant ce qu’elle crée. Dans ce sens, la danse n’est-elle pas à proprement parler vouée à la destruction ? célébration de l’action de détruire ou capacité à ne rien garder ; et parce que de la danse, il ne reste jamais rien.

 

aSH, d’Aurélien Bory, pour Shantala Shivalingappa
conception, scénographie et mise en scène : Aurélien Bory
chorégraphie : Shantala Shivalingappa
percussions : Loïc Schild
composition musicale : Joan Cambon
collaboration artistique : Taïcyr Fadel
création lumière : Arno Veyrat
régie plateau : Thomas Dupeyron
assistant à la création lumière et régie : Mallory Duhamel
conception technique décor : Pierre Dequivre, Stéphane Chipeaux-Dardé
costumes : Manuela Agnesini avec l’aide précieuse de Nathalie Trouvé
avec Shantala Shivalingappa

Du 16 février au 1er mars 2019 à 21h00
Durée 1h

La Scala Paris
13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Réservation au 01 40 03 44 30
lascala-paris.com

Tournée
24 Mai 2019 à 20h30

Théâtre de l’Olivier – Istres
Place Jules Guesde Boulevard Léon Blum
13800 Istres
Réservation 04 42 56 48 48
www.scenesetcines.fr

28 et 29 Mai 2019 à 20h00

Théâtre de Caen
135, boulevard Maréchal Leclerc
14000 Caen
Réservation 02 31 30 48 00
theatre.caen.fr

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