© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette
Comment dire ?? Une surprise ? Une émotion ? Ce spectacle, créé en 2024, au titre qui paraît froid, Article 353 du Code pénal, voire un rien rebutant, débute, immense terrain vide, vague presque, pas très sympathique, un rectangle, entouré d’un petit muret idiot, apparemment abandonné depuis un bout de temps, l’herbe folle a repoussé joyeuse. Deux hommes sont là, et derrière eux, de temps en temps, des photos apparaîtront, vastes plages bretonnes, plein Finistère, landes, liberté. Pourtant la liberté n’est pas forcément l’idée même de cette pièce. Ces deux hommes s’opposent : un grand, mince, habillé comme il faut, l’autre un peu l’inverse et surtout, une paire de menottes, qui d’ailleurs le gène et que Monsieur le juge d’instruction, sympathique, lui enlève. Rien à craindre dans ces bureaux où le criminel est entendu pour la première fois suite au meurtre du maire de la ville qui avait lancé une vaste vague, c’est le cas de le dire, de construction face à ces longues plages bretonnes, à deux pas de Brest. Les constructeurs ont récupéré toutes les économies de ce bonhomme, et de beaucoup d’autres, pour la mise en place d’immeubles de standing, face à la mer. Rien n’a poussé. Sauf, pour nous, ce spectacle, surprenant. Prenant tout court pourrait-on dire.
Le sujet est tiré du neuvième roman de Tanguy Viel, Article 353 du Code pénal, récompensé par le Grand Prix RTL et le Prix François Mauriac, considérablement réduit certes mais qui fonctionne encore très bien. Cet article du Code pénal Un homme parle, raconte, explique ce meurtre, fruit d’une colère, d’une honte, d’un désespoir de s’être ainsi fait avoir. Déjà, la construction d’immeubles aussi conséquent dans la rade de Brest est un crime mais c’est un autre sujet. Cet homme plus très jeune, ayant fait des économies pendant des années, parle, se répète, pleure et crie. Il a voulu rendre justice lui-même. L’autre, le juge, écoute, note, pose une question, ici où là. Les cinq premières minutes sont inquiétantes, ne font pas peur, non, ce n’est pas ça. On se demande combien de temps va durer ce spectacle, une légère crainte apparaît, mais nous sommes au mois de juin, il fera jour encore en sortant c’est toujours ça. Les cinq premières minutes. C’est tout. Ensuite le temps n’existe plus, un homme explique pourquoi il a tué, d’où est née cette colère qui lui a fait perdre raison. Il explique. Le juge écoute. Nous aussi. Nous sommes pris. Nous verrons comment le juge comprend.
Oui, c’est un spectacle fulgurant sur l’injustice. Le « crime » au mauvais endroit. Oui, imaginer ces constructions à cet endroit pousse à imaginer l’enfermement à vie. Mais la force de ce spectacle vient tout d’abord de la concentration de ce texte, très réduit mais qui fonctionne formidablement bien. Le sens, l’important, le fort sont là. Nous écoutons, aussi attentifs que le juge, bien sûr, saisissant de mieux en mieux pourquoi Martial Kermeur, un cinquantenaire licencié, a tué cet homme. L’idée d’un bel appartement, plus que confort et modernité, être propriétaire, l’océan en face. Ce qui est assez amusant tout de même, la description d’une telle résidence de luxe, dans la rade de Brest : deux ou trois tempêtes et plus grand chose en aussi bon état.
Vincent Garanger et Emmanuel Noblet mériteraient une standing ovation. Deux peut-être pour Emmanuel Noblet, le juge, a qui sont dues la mise en place de ce texte de Tanguy Viel et sa force sa résistance et son attention quasi muette de juge attentif. Puis pour Vincent Garanger, en premier bien entendu. C’est lui qui nous fait peur pendant cinq minutes. Cet homme qui parle seul, geint, raconte. On n’entre pas, on pense à ce métro en retard tout à l’heure, à la nouvelle bibliothèque de Burie, etc. Et le vent nous saisit. Nous sommes arrivés à Brest enfin. Dans ce bureau et sur la plage en même temps. Martial Kermeur parle. Son émotion palpable se développe, une souffrance honnête l’a fait basculer. Il crie. Le texte est prenant, d’une force terrassante. La tempête naît doucement et fait rage. La scène est noire, nous ne sommes pas dans le tribunal mais sur place, au bord de l’océan. Des photos gigantesques apparaissent régulièrement pour nous le rappeler, pour mieux nous faire comprendre la douleur de cet homme meurtrier. Le sol, des cailloux, des herbes folles, de la mousse sur cette idée de fondation de cette maison imaginée mais jamais construite. La douleur, l’idiotie généreuse de cet homme paumé poussé jusqu’au crime tant il s’en rend compte, lettres de son banquier ne lui laissant aucun doute sur cette idiotie généreuse poussée par ces plans immobiliers de constructeurs criminels pourrait-on dire. Beauté, force, jeu fulgurant de ces deux hommes, explosion, attention.
© Jean-Louis Fernandez
Article 353 du Code pénal, d’après un roman de Tanguy Viel
Adaptation et mise en scène : Emmanuel Noblet
Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet
Scénographie : Alain Lagarde
Création lumières : Vyara Stefanova
Création sonore : Sébastien Trouvé
Vidéo : Pierre Martin-Oriol
Costumes : Noé Quilichini
Du 3 au 14 juin 2025
Salle Jean Tardieu
Du mardi au vendredi, 19h30 – samedi, 18h30
Relâche : dimanche 8 et lundi 9 juin
Durée 1h40
Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
T+ 01 44 95 98 00
www.theatredurondpoint.fr
Du 5 au 24 juillet au Festival d’Avignon, Salle 2.
Relâche les 11, 18 juillet.
Création le 15 octobre 2024 au Théâtre Durance / Scène nationale de Château-Arnoux-Saint-Auban (04)
comment closed