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Art, de Yasmina Reza, mise en scène de Patrick Kerbrat, au Théâtre Antoine

Fév 11, 2018 | Commentaires fermés sur Art, de Yasmina Reza, mise en scène de Patrick Kerbrat, au Théâtre Antoine

ƒƒƒ Article de Victoria Fourel

C’est l’histoire d’un tableau. D’un tableau blanc. Entièrement blanc, le genre d’œuvre pour lesquels certains crient au génie et d’autres au scandale. Et c’est de cette opposition que part cette grande joute entre trois vieux amis, qui réalisent après trente ans d’amitié qu’ils n’ont peut-être rien en commun.

Blanc, blanc, blanc. Dans un décor froid et moderne, immense par le côté immaculé de ses murs et de ses meubles, les comédiens tranchent par leur costumes sombres, leurs entrées et sorties très vivantes. On n’a ici nullement tenté de s’ancrer dans une époque. Même si bien sûr, le propos, les personnages, le texte, même, nous renvoient à une certaine classe sociale, c’est la neutralité des lieux qui prime. On parle d’art pendant tout un spectacle, et pourtant l’arrière-plan apparaît comme complètement désincarné. C’est très intéressant, et l’on évite toute tentation de kitsch. Seuls les tableaux aux murs des différents appartements évoluent, comme pour ne définir les trois hommes que par ce qu’ils ont choisi d’exposer. Leur décoration intérieure devient alors un reflet d’eux-mêmes, parfois de leurs vanités, toujours de leurs goûts.

Le plus intéressant, dans Art, c’est la façon dont une conversation de salon nous ramène soudain à des choses qui nous dépassent. Qui sont Yvan, Serge et Marc les uns pour les autres ? Ont-ils changé en trente ans, ou se sont-ils toujours trompés ? C’est une sensation désagréable que de découvrir que notre ami a ce trait de caractère, cette chose ancrée en lui que l’on ne comprend pas, que l’on n’accepte pas. Chacun a en fait un rôle à jouer dans le groupe, sans l’apprécier forcément, sans même s’en rendre compte, et pourtant, il est bien là : le faux cultivé, le jaloux, l’arbitre.

La mise en scène parvient tout à fait à donner leurs parts du lion aux trois comédiens, très performants et investis. Ils jouent cette partition réaliste avec ce qu’il faut de fantaisie, et l’on apprécie notamment que le rythme des scènes soient rapides et sans temps mort. Les acteurs ne s’appesantissent pas sur les mots, ils entrent, sortent, enchaînent les apartés et les montées en intensité pendant des disputes dignes des adolescents les plus capricieux. C’est exactement la marche à suivre dans ce genre de spectacle, qui, si l’on y va avec trop de précaution, devient ennuyeux, banale suite de méchancetés entre vieux copains. Ici, pas de problème, c’est affreusement méchant, vicieux et malhonnête, comme n’importe quelle engueulade, mais on ne se complaît pas là-dedans.

Si le spectacle ne crée pas la surprise pour autant, il y en a une, de surprise, et elle est de taille : on repense longtemps après être sorti de la salle, à ce qu’être ami veut dire. Peut-on tout se dire, tout connaître des autres ? Et moi, dans cette histoire d’amitié , lequel des trois je suis ?

Art de Yasmina Reza
Mise en scène Patrice Kerbrat
Avec Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin et Alain Fromager
Décor Edouard Laug
Lumières Laurent Béal
Assistant mise en scène Pauline Devinat
Costumes Caroline Martel

du 30 janvier 2018, du mardi au samedi à 21h, les samedis et dimanches à 16h.

Théâtre Antoine
14 boulevard de Strasbourg
75010 PARIS
Réservation 01 42 08 77 71
www.theatre-antoine.com

 

 

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