© Jean-Louis Fernandez
f article de Denis Sanglard
« Tu partiras, nous resterons. » Le dénouement de cette tragédie est dans son commencement. Arrête avec tes mensonges, histoire d’une passion entre deux adolescents que le déterminisme et les préjugés sociaux, leurs violences intrinsèques, contraignent au mensonge avant à la rupture brutale. Un amour de lycée qui trouvera sa résolution dramatique vingt ans plus tard. Les années 80, l’homosexualité à peine dépénalisée (4 août 1982), le sida qui ravage une communauté, et ces deux-là de Barbezieux, loin de tout ça encore, Thomas et Philippe, épris l’un de l’autre, amoureux clandestins sous l’injonction impérative de Thomas. Philippe en proie au harcèlement scolaire mais affirmant déjà bravache son identité quoi qu’il lui en coûte et Thomas, mutique et sauvage, cloué par son milieux paysan, enferré dans le déni et prisonnier de son imposture, augurant bien longtemps après son dernier geste. Arrête avec tes mensonges est plus qu’une histoire d’amour, c’est aussi le récit d’une résilience pour l’un et d’une impossible émancipation pour l’autre. Où l’invention de soi par l’affirmation de son identité profonde au risque assumée de la fracture avec son milieu d’origine se mesurant à l’aveux impossible qui tétanise et la reproduction d’un schéma social destructeur auquel on se soumet.
Autofiction, comme toujours avec Philippe Besson la vérité biographique et la fiction romanesque sont finement tressées, le récit commence vingt après la rupture des deux amants, alors que l’auteur en interview promotionnelle rencontre par hasard le fils de Thomas, Lucas. A partir de là, vont se chevaucher dans une mise en abyme qui les noue, le présent et le passé, la littérature et la réalité. Philippe Besson l’écrivain devient ici l’observateur critique de Philippe Besson, le lycéen de Barbezieux. Critique d’une époque aussi, ne séparant pas cet amour de son contexte géographique et social particulier. Ainsi la narration oscillant entre deux temporalités et deux récits qui s’éclairant l’un l’autre, se contredisant parfois, donne à cette histoire une densité et une profondeur singulière. C’est d’une grande fluidité, comme la mise en scène qui épouse sans heurt ce mouvement de balancier entre un passé révolu et un présent en devenir. Une mise en scène d’une très grande sobriété, ne versant pas dans la reconstitution absolue d’une époque, seuls quelques objets font signe (le walkman emblématique…), de même une bande son choisie avec soin (Jean-Jacques Goldman versus Téléphone, Bronksy Beat, Nena), et des références cinématographiques inévitables (L’homme blessé de Chéreau, Scarface de Brian de Palma), l’important étant dans le mouvement des corps qui se cherchent et se révèlent, des cœurs écorchés mis à nus. Raphaël Defour, Etienne Galharague et Mariochka sont chacun dans leur rôle d’une grande sensibilité qui détourent leur personnages avec finesse et sans cliché.
Une création donc certes impeccable mais par trop sage, qui manque de raucité et de relief. La faute sans doute à l’écriture de Philippe Besson, qui n’a pas pour un tel et même sujet la force, pour exemple, de celle de Jean-Luc Lagarce. Parce qu’une écriture romanesque, à quelques exceptions et au risque volontaire de la trahison, n’a pas la puissance dramaturgique d’une écriture proprement théâtrale, laquelle est à la fois l’objet et le sujet d’une œuvre. Ici, l’écriture de Philippe Besson accuse une faiblesse qu’elle n’a pas dans le roman et fragilise une représentation de fait circonscrite à son seul sujet auquel manque l’impact d’une langue travaillée pour le plateau. Ce n’est pas que l’on s’ennuie mais rien ne nous agrippe vraiment. Car pour un même sujet, aussi sensible et mémoriel que celui-là, au théâtre s’entend, c’est la langue aussi qui fait œuvre de mémoire.
© Jean-Louis Fernandez
Arrête avec tes mensonges d’après le roman de Philippe Besson
Adaptation et mise en scène : Angélique Clairand et Eric Massé
Avec : Raphaël Defour, Etienne Galharague, Mariochka
La participation d’Anna Walkenhorst
Et en alternance : Angélique Clairand et Eric Massé
Vidéo : Vincent Boujon
Lumières : Juliette Romens
Composition musicale : Bertrand Gaude
Coach vocale : Myriam Djemour
Construction, conception décor : Didier Raymond
Costumes : Laura Garnier
Régie générale : Nathan Teulade
Régie : Jean-Louis Portail, Yann Nédélec
Du 7 janvier au 5 février 2023
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30
Théâtre de la Tempête
Salle Copi
Cartoucherie, rte du champ de manœuvre
75012 Paris
Réservation : 01 43 28 36 36
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