Critiques // Armide, tragédie en musique de Lully, livret de Philippe Quinault, direction musicale de Christophe Rousset, mise en scène de Lilo Baur, à L’Opéra-Comique

Armide, tragédie en musique de Lully, livret de Philippe Quinault, direction musicale de Christophe Rousset, mise en scène de Lilo Baur, à L’Opéra-Comique

Juin 19, 2024 | Commentaires fermés sur Armide, tragédie en musique de Lully, livret de Philippe Quinault, direction musicale de Christophe Rousset, mise en scène de Lilo Baur, à L’Opéra-Comique

 

© S. Brion

ff article de Denis Sanglard

Armide où les amours du chevalier Renaud et de la magicienne Armide, inspirée de la Jérusalem délivré du Tasse, version Lully cette fois-ci, livret de Quinault, toujours. Après avoir proposé la version de Gluck sur le même livret de Quinault (mais amputé par le compositeur de son prologue), L’Opéra-Comique propose donc cette version antérieure, 1686, toujours avec Lilo Baur à la mise en scène, Christophe Rousset à la baguette, dans le même décor de Bruno de Lavenère sous les éclairages de Laurent Castaingt. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’Armide ne sied point à Lilo Baur. Bien que plus épurée que dans la première mise en scène, plus sombre aussi, ce que nous lui reprochions se renouvelle ici. Nul relief, nullle magie, nul enchantement dans tous les sens du terme. Rien des artifices de l’opéra que nous aurions espéré, davantage encore dans cette tragédie lyrique et baroque où le surnaturel est une composante agissante. C’est d’une pauvreté stylistique, une lecture littérale et sans point de vue réel, qui confine parfois au ridicule dans les propositions. Ici l’amour est plus fort que la magie, certes, mais nous aurions sans doute aimé davantage de magie et moins de passion. C’est dans les scènes d’ensemble qui engagent le chœur vocal que le ridicule est atteint. La danse fait partie intégrante de l’opéra chez Lully, de son discours et de l’action dramatique. Ici un corps de ballet croupion exécute une chorégraphie qui ne fait aucun sens, franchement brouillon dans ses intentions, voire inutile dans certain cas. Les choristes à qui l’on dévolue également cette charge, eux qui ne sont pas danseurs, et ça se voit par leur gaucherie, une allure empruntée et une application à bien faire, obère toute crédibilité et dessert cette mise en scène à l’emporte-pièce et le livret dramatique de Quinault. Surtout règne sur le plateau dans son occupation, toujours dans les scènes d’ensemble, une propension à piétiner, se marcher sur les pieds, à ne savoir vraiment où aller, jusqu’aux sorties de plateau chaotiques. L’effet en est désastreux. Difficile devant tant de maladresse, de sécheresse imaginative, étonnant quand même de la part d’une metteuse en scène bien plus inspiré au théâtre, de ne pas se déprendre d’un ennui qui nous gagne lentement tel un mascaret et contre lequel on ne peut rien.

Si magie et enchantement il y a, sauvant cette soirée et avec bonheur, c’est dans la fosse et dans le talent des chanteurs qui résistent vaillamment à ce traitement. Christophe Rousset délabyrinthe cette partition d’une richesse stylistique, donnant relief et couleur, profondeur à cette tragédie en musique, dirigeant au cordeau l’Orchestre des Talents lyriques. Plus que la mise en scène de Lilo Baur c’est lui qui porte la forte théâtralité de cette Armide jusqu’à imposer des silences étonnants d’une grande éloquence. Lully était un homme de théâtre et cela s’entend ici. La mezzo-soprano Ambroisine Bré convainc dans le rôle éponyme. La voix claire est d’une grande expressivité qui se plie aux sentiments versatiles d’Armide, de la fureur à l’amour. Manque peut-être, elle est jeune c’est vrai, une réelle ampleur dramatique pour être une véritable tragédienne. Mais la voix compense et supplée à notre réserve. Cyrille Dubois impose son Renaud d’emblée. Si la voix est dure au début, voire métallique, très vite elle trouve sa justesse, déployant lui aussi un nuancier expressif alliant puissance et douceur. Ambroisine Bré et lui forment un couple lyrique en parfaite harmonie. Pas de Mezzo ici pour la Haine, contrairement à Gluck, mais un baryton, Anas Seguin, d’une haute tenue vocale et d’un engagement théâtral sans faille et surtout sans cliché opératique pour un tel rôle, joué avec une simplicité relative qui lui donne toute sa dimension dramatique. Le baryton-Basse Edwin Crossley-Mercer (Hidraot) en impose par sa voix profonde et large et une présence scénique charismatique. Les soprani Florie Valiquette (Gloire, Sidonie, Lucinde, La bergère) et Apolline Raï-Westphal (Sagesse, Phénice, Mélisse, La nymphe) qui furent de la version précédente de Gluck, ont toujours cette voix suave aux aigus aussi sensuels que faciles. On retrouve dans les mêmes personnages (Le chevalier danois et Artémidore) le ténor Enguerrand de Hys mais qui change de partenaire, la baryton-Basse Lysandre Châlon (Aronde et Ubald). Un duo parfaitement accordé d’une même expressivité vocale et dramatique. Enfin une belle découverte, le jeune ténor Abel Zamora (L’amant fortuné) d’une grande sensibilité.  Le chœur Les Eléments bien que danseurs maladroits – et ce n’est pas de leur faute – encore une fois font montre de leur grande musicalité et de leur talent indéniable. Et précisons quand même, ce qui a son importance, combien l’articulation nette et précise de l’ensemble des chanteurs (éclatant dans les récitatifs) apporte à cette partition au-delà de sa compréhension, un relief dramatique, une réelle théâtralité tragique qui manquait à la mise en scène.

 

© S. Brion

Armide, tragédie en musique de Lully

Livret de Philippe Quinault

Direction musicale : Christophe Rousset

Mise en scène : Lilo Baur

Chorégraphie : Cláudia de Serpa Soares

Décors : Bruno de Lavenère

Costumes : Alain Blanchot

Lumières : Laurent Castaingt

Assistant musical : Korneel Bernolet

Assistant mise en scène : Florimond Plantier

Observatrice mise en scèbe : Sophie Planté*

Assistante costumes : Marlène Tournadre

Assitant lumières : Gaspard Gauthier

Chef de chœur : Joël Suhubiette

Assistante chef de chœur : Iris Thion-Poncet*

Cheffe de chant : Marie van Rhijn

Avec : Ambroisine Bré, Cyrille Dubois, Edwin Crossley-Mercer, Anas Séguin, Lysandre Châlon, Enguerrand de Hys, Florie Valiquette, Apolline Raï-Westphal, Abel Zanora*,

Danseurs / Collaborateurs artistiques à la chorégraphie : Emilio Urbina, Fabien Almakiewicz, Mai Ishiwata, Nicolas Diguet, Panagliota Kallimani, Rafael Pardillo

Orchestre : Les Talents Lyriques

Chœur : Les Eléments

*artistes de l’Académie de l’Opéra-Comique

 

17, 19, 21 et 25 juin 2024 à 20h

23 juin à 15h

Durée 3h avec entracte

 

Opéra-Comique

Place Boieldieu

72002 Paris

 

Réservation : 01 70 23 01 31

www.opera-comique.com

 

 

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