Ƒ Article de Sylvie Boursier
A quoi pensent Guilain arrimé à son basson, Areski noué à son violon, Victor soufflant dans son trombone et Adèle pliée sur son piano ? À quoi rêvassent ces musiciens en herbe issus ou toujours au conservatoire avachis sur leur lit, ensemble ou séparément ? Séverine Chabrier, elle-même musicienne, les a rencontrés, a eu envie de construire un spectacle avec et autour d’eux. Improvisations musicales, répétitions, captations, bribes de conversations, voix off et plan large sur leur visage en vidéo, Aria di capo se veut fidèle au journal de bord des 4 adolescents, à leurs échanges intimes au fil de l’eau. Un étrange spectacle est né, déroutant et hybride, entre cinéma, musique et théâtre, aller-retour entre un orchestre en fond de scène que l’on devine à quelques signes – partitions, pupitres, baguette – et 2 blocs vitrés, chambres d’échos ou le quatuor passe le plus clair de son temps entre confidences, blagues de potaches, humour et mélancolie. Ils enchainent commentaires sur Messian, Ravel, Monteverdi et kebab à 4 heures du matin avec le gout de paprika des premiers baisers.
Ils sont beaux et pas seulement physiquement par leur élan brisé, leurs doutes, leur admiration teintée d’écrasement face au génie de Sergiu Celibidache, Samson François, Martha Alguerich que l’on distingue en images d’archives. Dans Sentinelles de Jean François Sivadier 2 concertistes renonçaient à la musique terrassés face au génie d’un Glenn Gould jouant seul, la nuit, les Variations Goldberg. Un des plus beaux moments du spectacle est cette lettre à Mozart d’Areski : avais-tu des amis, demande-t-il, comment faisais-tu avec les filles, te sentais tu seul ?
Faut-il se perdre dans la musique ou s’en détacher et vivre le reste ? Comment faire quand on passe 7 heures par jour à s’entrainer, quid des relations sociales, des raves parties avortées, des désirs et d’une sexualité qui vous taraude ? Les sportifs de haut niveau ont les mêmes soucis.
D’où vient alors ce sentiment bizarre de rester à quai sans pouvoir vraiment entrer dans le spectacle, nous « les vieux » face à ces jeunes enfermés dans leurs cages, que l’on distingue à peine ? peut-être parce qu’ils considèrent les adultes comme une espèce à part, imperméable à ce qu’ils ressentent, comme si on avait oublié les figurants que nous fûmes ? Séverine Chavrier, on le comprend, veut protéger leurs aveux derrière ces vitres, alors pourquoi les mettre en scène et prendre ainsi le risque de l’hermétisme ? malgré la fraicheur de ces acteurs spontanés, on se perd un peu dans les voix chevauchées, les chuchotements esquissés et l’ensemble a quelque chose d’artificiel, comme un film mal sonorisé. Quel bonheur à l’épilogue de les voir jouer (enfin !) face public, un Aria da capo métaphysique d’une grâce absolue.
On sort des Amandiers en imaginant ce que Philippe Garel aurait pu faire au cinéma sur ce thème mais ceci est une autre histoire….
Aria da Capo de Guilain Desenclos, Adèle Joulin et Areski Moreira
Mise en scéne : Sèverine Chabrier
Vidéo : Martin Mallon, Quentin Vigier
Son : Olivier Thillou, Séverine Chabrier
Lumières : Jean Huleu
Scénographie : Louise Sari
Costumes Laure Mahéo
Durée : 1h 45
Jusqu’au 22 avril, mardi et mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 15h
Théâtre des Amandiers Nanterre,
7 avenue Pablo-Picasso
93100 Nanterre
Réservation : 01 46 147 000
www.nanterre-amandiers.com
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