Critiques // Après la fin, de Dennis Kelly, mis en scène par Maxime Contrepois, au Théâtre de la Cité internationale

Après la fin, de Dennis Kelly, mis en scène par Maxime Contrepois, au Théâtre de la Cité internationale

Mar 04, 2020 | Commentaires fermés sur Après la fin, de Dennis Kelly, mis en scène par Maxime Contrepois, au Théâtre de la Cité internationale

 

 

© Simon Gosselin

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Après la fin (After the end) est la deuxième pièce de Dennis Kelly créée en 2005 et qui a reçu le prix de la National Theatre Foundation. Le dramaturge britannique a ensuite travaillé avec la Royal Shakespeare Company et a connu un grand succès à Londres avec la comédie musicale Matilda the Musical en 2011.

Après la fin est très loin de l’adaptation du conte pour enfants de Roald Dahl. C’est un conte pour adultes, d’une grande cruauté et véracité sur les rapports de domination entre les êtres humains, qui peut servir d’allégorie aux rapports de force entre nations.

Louise se réveille dans l’abri anti-atomique de l’appartement de Mark où ce dernier l’a emmenée alors qu’elle était inconsciente. Il lui décrit à son réveil la situation chaotique au dehors, les corps qui essayent de se relever et dont des morceaux se détachent, le nuage, les destructions. Ils semblent les seuls survivants d’une explosion nucléaire. Il dit s’être d’abord enfui, puis être revenu la chercher. C’est la première scène d’une pièce d’une heure trente, qui en compte une quinzaine, toutes séparées par un noir/musique sur le plateau.

C’est un huis-clos et un dialogue que presque rien ne vient interrompre. La langue en revanche de Dennis Kelly n’est faite que d’interruptions, caractérisée par des phrases non terminées pour l’essentiel et une sorte de psittacisme récurrent. On ne sait si la conversation hésite sur la forme ou le fond. Le traumatisme de la situation, de ce huis-clos forcé, de l’incertitude de ce qui se passe au dehors, des privations qu’il faut envisager : eau, nourriture, espace, intimité…

Louise ne se souvient plus. Mark se souvient pour elle. C’est lui qui conduit le récit, trop bien, puis trop mal. Il inquiète Louise, Mark, tout comme les spectateurs que nous sommes qui sentons un malaise s’installer, qui laisse doucement place à un thriller rampant.

Le premier indice dans ce décor sans âme (longue cloison mi-opaque côté Cour avec une estrade-banc ; fauteuils, chaises, lampes à abat-jours désuets côté Jardin avec une petite cloison pour l’espace cuisine et un rideau de plastique transparent) : l’inventaire de la cantine en fer contenant des boîtes de conserve, que Mark indique être « largement assez pour une personne ». Puis ses certitudes assénées : c’étaient des « terroristes »  dont on peut être sûr qu’ils « avaient des barbes » ; « C’est une guerre, une guerre ».

Parallèlement, des propos triviaux, des blagues, font rire le public, qui croit encore que l’histoire peut ne pas être tragique, qu’elle pourrait encore ne pas basculer dans une réalité qui peut arriver tous les jours, partout, à n’importe qui, un rapport de force entre des personnages sans histoire, mais qui deviennent bourreaux et victimes. Un chantage qui s’installe peu à peu, des privations en répression du refus de jouer, des humiliations en retour de frustrations passées, des manipulations et mensonges pour faire perdurer un huis-clos qui devient éprouvant jusqu’à basculer dans la violence physique, allant de l’enchaînement (au sens propre) à la tentative d’assassinat et en passant par le viol.

La mise en scène d’Après la fin de Maxime Contrepois est assez efficace sans être particulièrement innovante. Mais elle permet de se concentrer sur ce texte singulier, qui, s’il semble pauvre sur le plan littéraire, est riche dans le crescendo continu de l’angoisse réaliste qu’il fait naître, et de valoriser sa prosodie et son rythme heurtés, que le jeu d’Elsa Agnès et Jules Sagot relayent assez bien en suscitant l’agacement et aucune empathie chez ceux qui assistent à leur implosion, jusqu’au dialogue final dans la prison. C’est dans cette dernière scène qu’ils sont les moins convaincants, que l’on arrête peut-être d’y croire.

Il n’en reste pas moins que toute la violence d’une humanité à la dérive ainsi convoquée est bouleversante, par le réalisme de la psychologie des êtres, comme des puissances étatiques dont ils sont l’allégorie, dans une recherche perpétuelle de domination, d’ascendance et de tentative de destruction des identités. Louise qui a éprouvé elle-même que « la violence entraîne la violence » (l’histoire du chat que l’on ne divulgachera pas) veut encore croire possible que puissent se « casser les cycles de violence ». Et même si elle a compris que « la seule façon d’être détruit par quelqu’un, c’est de le laisser nous transformer en quelque chose qu’on n’est pas », on la quitte alors qu’elle n’est pas au bout du chemin, en plein trauma, car il n’est pas facile de se retrouver, après le traumatisme.

 

© Simon Gosselin

 

Après la fin de Dennis Kelly

Mise en scène Maxime Contrepois

Dramaturgie Olivia Barron

Scénographie Margaux Nessi

Costumes Joana Gobin

Son Baptiste Chatel

Lumière Sébastien Lemarchand

Vidéo Raphaëlle Uriewicz

Régie générale Solène Ferréol

Avec Elsa Agnès

Jules Sagot

 

Du 2 au 14 mars 2020

À 20 h les lundis, mardis et vendredis, 19 h les jeudis et samedis

Durée 1 h 30 environ

 

 

 

Théâtre de la Cité internationale

17 boulevard Jourdan

75014 Paris

 

Réservation 01 43 13 50 60

www.theatredelacite.com

 

 

 

 

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