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« Après coup (projet un-femme) », de Séverine Chavrier, au théâtre de la Bastille

Fév 05, 2015 | Commentaires fermés sur « Après coup (projet un-femme) », de Séverine Chavrier, au théâtre de la Bastille

ƒ article de Florent Mirandole

8-chav8© Alexandre Ah-Kye

Pourquoi les autorités soviétiques n’ont pas évacué les alentours de Tchernobyl alors que plus personne n’osait même y cueillir les pommes ? Natacha Kouznetsova et sa famille ont vécu la réalité soviétique, le poids de la censure, les mensonges, les déplacements forcés. Son témoignage est unique, précieux. C’est ce qui a poussé Séverine Chavrier, la metteuse en scène, à construire un spectacle autour de son expérience. Son récit diffusé en voix off s’entremêle avec celui de Victoria Belen Martinez. A plusieurs milliers de kilomètres de là, en Argentine, Victoria a vécu dans sa chair les crimes et les massacres de l’Etat argentin. Les deux danseuses ont exhumé leurs souvenirs pour les coucher sur une bande sonore en forme de dialogues, chargée d’images noires et terrifiantes qu’une musique lugubre, mécanique et répétitive accompagne. Sur la scène, les deux danseuses traduisent avec leur corps leur expérience, les membres sont pliés, tordus, et les coups partent lorsque les mots ne suffisent plus. Au-delà du témoignage, cette pièce est aussi l’occasion d’une révolte. Après coup désigne autant le souvenir laissé par ces chocs que les coups que les deux danseuses auraient voulu donner alors. Rendre coup pour coup en somme. Parsemée de gants de boxe, la scène se transforme ainsi en exutoire chaque fois que les deux danseuses chaussent les gants.
Le combat paraît pourtant déséquilibré. On se demande très vite si le poids de l’histoire n’est pas un peu lourd pour leurs épaules, aussi robustes soient-elles. Si les deux danseurs appellent Gorbatchev et Eva Perón, leur jeunesse peine à convaincre qu’elles ont ressenti dans leur chair tous ces souvenirs. Résultat, les deux comédiennes paraissent parfois se débattre au milieu d’une scène trop grande pour elles. Et l’omniprésence de cannettes de coca-cola ne fait qu’alourdir le message politique. Il n’en reste pas moins qu’elles réussissent parfois à être à la hauteur des quelques personnages, ou « figures de pouvoir », qu’elles convoquent. C’est d’abord le fait du travail Victoria Belen Martinez, qui réussit à faire résonner par ses contorsions tout l’effroi de ses récits. Danseuse venue du cirque, Victoria déforme son corps avec méthode, plie ses membres avec application, et vous pousse jusqu’au malaise. Pourtant elle n’était quelques minutes plus tôt qu’un catcheur d’opérette masqué, s’amusant à taquiner le public. De même cette incarnation d’Eva Perón, talons hauts et robe blanche printanière, qui sombre tout entière dans une boite en carton, gobée par l’histoire comme elle a été chassée par son peuple.
Dans ce combat contre leurs fantômes, les deux rescapées ne gagnent pas tout le temps. Mais leur sourire à la fin de la pièce confirme que la danse est une des meilleures catharsis.

Metteuse en scène Séverine Chavrier
Avec Victoria Martinez, Natacha Kouznetsova
 
Son Philippe Perrin
Lumière Patrick Riou
Vidéo Mathilde Bertrandy
Images Alexandre Ah-Kye
Accessoires Benjamin Hautin
Régisseur Bastille Véronique Bosi

Du 03 au 05 février Théâtre Bastille
76 rue de la Roquette 75011 Paris
0143574214
www.theatre-bastille.com

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