© Simon Gosselin
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
L’on sait qu’en dépit de sa stricte éducation janséniste, Racine se tourna très tôt vers une vie intime et mondaine riche ; des péchés de jeunesse ayant sans doute nourri son penchant pour les histoires passionnelles. Comme on le sait aussi les histoires d’amour finissent mal, en général…
Bien avant Phèdre, à 28 ans seulement, il écrit Andromaque qui est l’une des plus grandes tragédies des amours impossibles et son premier grand succès dès sa création (1667). Pyrrhus aime Andromaque qui aime Hector, son mari défunt tué par Achille (père de Pyrrhus), Oreste aime Hermione, la fille d’Hélène promise à Pyrrhus, Hermione n’aime pas Oreste et le manipule et est elle-même manipulée par Pyrrhus qu’elle aime. Les frustrations amoureuses et les relations toxiques, dirait-on aujourd’hui, déclenchent des réactions en chaîne, attisent les rapports de force dans les relations privées qui ont en outre des conséquences sur les relations d’Etat. Car on est dans le contexte de l’après-Guerre de Troie. Et les vainqueurs sont autant dans l’impasse que les vaincus. Les tentations vengeresses s’exacerbent au fur et à mesure des échanges intra-personnels. Les trahisons stratégiques ou inconscientes se multiplient et s’enchevêtrent.
Ces exacerbation et tensions sont bien sensibles dans la mise en scène minimaliste de Stéphane Braunschweig qui avec cette création d’Andromaque signe sa troisième confrontation à Racine (après Britannicus en 2016 et Iphigénie en 2020). Les comédiens évoluent dans des vêtements contemporains sur un plateau habité par quelques chaises et une table comme seuls éléments immaculés du décor. L’essentiel de la dramaturgie repose sur une scénographie centrée sur une flaque (peu visible pour le public de l’orchestre), qui va se transformer en marre de sang. Les uns et les autres transitent par cet élément humide qui vient mouiller leurs vêtements comme leurs vies respectives, puis les souillent, ainsi que l’ultime carnage l’impose. Le Destin est implacable.
Le jeu des comédiens est d’une assez grande sobriété, même si les gestuelles répétitives (quoi que limitées aux déplacements et agitations des mains), ainsi que les placements sur le plateau semblent souvent incertains. Les mains dans les poches, Chloé Réjon, campe une Hermione assumant sa cruauté distante et calculatrice qui n’est que la couverture du désir et de la haine qui la consument. C’est elle qui incontestablement domine la distribution, face à l’héroïne jouée par Bénédicte Cerutti trop effacée dans un premier temps mais qui s’impose progressivement, tout comme Pierric Plathier, au fur et à mesure de la montée du tragique ; tandis qu’Alexandre Pallu propose un Pyrrhus chef de guerre en treillis dont les tourments intérieurs sont bien palpables.
Si la diction de l’ensemble de la distribution semblait montrer (en tout cas le soir de première) une hésitation initiale sur la manière de mettre ou non en valeur la rythmique des vers raciniens, l’impression se dilue au fur et à mesure pour ne laisser place qu’à la folie humaine qui nous suffoque par sa sauvagerie. Hasard ou pas de cette soirée, un certain nombre de spectateurs commentaient régulièrement par des onomatopées récurrentes les cheminements intérieurs des personnages sur scène, comme si chaque scène offrait des rebondissements inattendus. Créer un tel mouvement cathartique en 2023 est un tour de force.
© Simon Gosselin
Andromaque de Jean Racine
Mise en scène : Stéphane Braunschweig
Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Coiffures et maquillage : Emilie Vuez
Lumière : Marion Hewlett
Son : Xavier Jacquot
Assistant à la mise en scène : Aurélien Degrez
Avec : Jean-Baptiste Anoumon, Bénédicte Cerutti, Boutaïna El Fekkak, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, Clémentine Vignais
Jusqu’au 22 décembre 2023
Du mardi au samedi 20h, le dimanche 15h
Durée 1h55
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
Réservation : www.theatre-odeon.eu
Tournée :
16 au 29 janvier 2024
Théâtre de Bordeau en Aquitaine
1er et 2 février 2024
Théâtre de l’orient – CDN
8 au 14 février 2024
Comédie de Genève
comment closed