© Blandine Armand
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Elles sont rares et heureuses ces propositions s’interrogeant sur la jauge pertinente au regard du geste artistique qu’elles déploient. On pense bien sûr à Claude Régy qui, chemin faisant, cherchait cette écoute et relation idéales, impossible à construire au-delà d’une certaine masse critique de spectateurs. On sait aussi combien le choix d’une jauge réduite (une cinquantaine de spectateurs dans le cas présent) va à l’encontre des objectifs de rentabilité économique quand bien même il irait à la rencontre du public de manière inédite. Amours (2) s’inscrirait donc dans une démarche inverse de celle de Ca ira (1) Fin de Louis, remplissant de grandes salles world wide, spectacle monstre et marquant du théâtre contemporain français revisitant avec rigueur, vigueur et actualité la Révolution Française. Et pourtant, Amours (2) partage avec ce précédent, par son dispositif, la même tentative d’enracinement de son public dans l’espace dramatique. A son échelle : résolument humaine. Espace trifrontal, double rangée de chaises. La nudité n’est pas la marque du vide mais celle de l’imaginaire. Si la proposition traduit dans sa matérialité économe ses origines précaires, un atelier théâtre tenu par Joël Pommerat à la Maison Centrale d’Arles qui déboucha sur une première version (Amours (1)), elle fait de cette contrainte une force évidente, et le lieu d’une recherche sur ce qui fonde l’écriture de Joël Pommerat. Comme un retour sur ce soi et chez soi. Dans ce travail de proximité, les acteurs frôlant les spectateurs, les lumières de scène, souvent virtuoses pour les productions de la compagnie Louis Brouillard, n’officient plus comme un quatrième mur. Le roi-texte nous apparaît nu, inséparable de son public. Reste la vibration des affects, habillant l’espace et le temps, tenant ferme leurs couronnes, se mouvant d’un corps à un autre, enluminant l’espace aussi surement et secrètement qu’une lumière. Amours (2) crée ces transports, comme l’on dit d’un transport amoureux, émouvantes ondulations des voix tissant leurs lignes d’attention, creusant leur sillon, gravant dans le silence leurs éclats et leurs disparitions, paysage sonore s’imprimant dans l’esprit du spectateur tel un sentier se dessinant à force de pas. Ainsi, lorsque les mots du fils au père trouvent leur chemin bouleversant dans la difficulté et la nécessité de dire. Palpable émotion, qui serait l’inverse d’un décor : non pas une extériorité mais une puissance qui surgirait en miroir en chacun de nous. Ce qui était travail de fond, soubassement, de l’œuvre du dramaturge se déplie au premier et seul plan.
Joël Pommerat convoque une assemblée, ce que devrait toujours être le théâtre, comme cela fut aussi, explicitement, dans Ça ira. Il ne s’agit pas de juger, il s’agit simplement d’embrasser la comédie humaine, déchirante et comique à la fois. C’est d’ailleurs le propre de l’homme semble-t-il nous dire que de pouvoir ainsi accueillir, dans un sourire empathique, ce bât qui blesse.
L’auteur est l’homme de la reprise, du ravaudage, assemblant et recomposant des scènes éparses issues de pièces elles-mêmes fragmentaires, construisant ainsi ce discours amoureux, qui est tout sauf linéaire ou logique, structuré par la conflictualité. Marie Piemontese, historique de la compagnie est accompagnée dans cette entreprise de réécriture scénique de nouvelles figures issues de rencontres, notamment liées à l’atelier de la Maison Centrale d’Arles. Par cette incorporation, c’est comme si les textes se mettaient à vibrer de nouvelles potentialités, ouvraient de nouveaux horizons. La mise en scène à cru démultiplie l’effet de réel et s’éloigne du champ fantastique qui nimbe, comme une aura, l’œuvre de Pommerat. Les personnages peuplent ce monde comme des ombres errantes, d’autant plus troublantes qu’ils ne sont arrimés à aucune machinerie lumineuse. Leur caractère fantastique naît simplement de cet indécidable entre-deux, aux frontières du réel et de l’imaginaire, lieu trouble qui n’est autre que celui de nos représentations.
Amours (2), une création théâtrale de Joël Pommerat
à partir de ses textes La Réunification des deux Corées, Cet Enfant, Cercles/Fictions
Avec : Élise Douyère, Roxane Isnard, Marie Piemontese, Redwane Rajel, Jean Ruimi
Direction technique : Emmanuel Abate
Assistantes à la mise en scène : Saadia Bentaïeb, Lucia Trotta
Collaboration artistique : Roxane Isnard, Lucia Trotta, Élise Douyère et Jean Ruimi
durée : 1h5
Du 12 au 22 avril 2023
Mar, mer, ven & sam 19h & 20h30
Jeu 20h30
Relâche les dimanches et lundis
Pavillon Villette
30 Av. Corentin Cariou
75019 Paris
Réservation : 01 40 03 75 75
Tournée :
3 et 4 mai 2023, La Comète, scène nationale, Châlons-en-Champagne
23 et 24 mai 2023 Théâtre de l’Agora, Boulazac
8 et 9 juin 2023 Musée du Louvre-Lens
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