ƒƒƒ article de Victoria Fourel
L’oubli, c’est la gêne. Le cheveu sur la soupe. Le rire. La perte de soi, la perte du fil. Oublier, c’est ne plus arriver à suivre la pensée. C’est donc ne plus pouvoir donner au public ce qu’il attend : le spectacle. En s’appuyant sur tout ce que mémoire et musique ont en commun, Philippe Leygnac tisse une heure de théâtre entre clown, acrobatie, music-hall, humour, et émotion. Voilà. Il est aisé à décrire, ce spectacle.
Deux artistes s’apprêtent à nous dérouler un tour de chant. Mais si l’amnésie s’invite dans l’équation, tout devient sujet à répétition, à mime, à balbutiement, à perte des repères. On reprend des airs déjà joués, on oublie que le spectacle a commencé, ou même qu’il y a spectacle, on ne connaît plus les paroles, la place des instruments, et même sa langue maternelle.
On pense évidemment aux maladies dégénératives, aux traumatismes qui font oublier le passé, mais le spectacle tend à aller plus loin. Grâce à une mise en scène très « tour de chant », on explore toutes les facettes de l’amnésie, sans jamais être dans le réalisme. Les trois comédiens, qui épatent par la multitude des techniques qu’ils emploient, décalent ainsi toujours le propos dans la musique et dans le théâtre. Ils entrent très vite en connivence avec le public et déclenchent des rires spontanés et piqués au vif. Il y a de la folie, dans cette mise en scène, mais cette folie est très douce. On ne se sent jamais agressé, on a le temps d’observer, de se laisser gagner par elle, de comprendre, ou de ne pas comprendre. On saisit donc assez aisément ce que ce montage d’émotions veut donner, sans se sentir poussé à le saisir.
L’oubli n’a pas sa place en musique, le trou de mémoire n’est pas permis lorsqu’il y a un instrument à tenir, une continuité à assurer, un public à contenter, quel que soit le dit public. Oublier, c’est être seul, c’est être perdu, c’est être hilarant, mais c’est aussi être nature, sans fard. Car même si l’oubli fait peur, même s’il déstabilise, même s’il trouble, il est aussi tendre, confortable. Et c’est ce total confort que renvoie ce spectacle : on rit, on est ému, on est impressionné par certaines images, par la poésie de ce théâtre à la fois technique et bricolé, on est gêné, on est touché, et on voit l’amnésie sous un nouveau jour. Comme un grand lâcher de confetti sur une scène de théâtre.
Amnésique en musique
Conception, scénographie, création sonore Philippe Leygnac
Mise en scène Julien Feder
Avec Alexandre Chabbat, Agnès Debord et Philippe Leygnac.
Lumières Charlotte Dubail
Costumes Anatoli PapadopoulouDu mardi 7 au samedi 11 avril 2015 à 19h.
Bouffes du Nord
37 bis bld de la Chapelle 75010 Paris
Métro La Chapelle
Réservation 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com
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