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Alabama Song, de Gilles Leroy, mis en scène par Guillaume Barbot, La Manufacture-Patinoire, Festival d’Avignon Off

Juil 17, 2022 | Commentaires fermés sur Alabama Song, de Gilles Leroy, mis en scène par Guillaume Barbot, La Manufacture-Patinoire, Festival d’Avignon Off

 

© Aeldarrig & Benjamin Lebreton

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Alabama Song offre sous une forme de théâtre-concert extrêmement structurée et entraînante, une plongée dans la vie de Zelda Fitzgerald, de de son couple tumultueux avec Scott et surtout du musèlement de ses dons créateurs. Zelda a été une muse pour Scott, alors qu’elle avait tout pour qu’il soit (aussi) son Pygmalion.

Gilles Leroy a écrit une histoire romancée de Zelda, née en Alabama, fille d’un juge et la petite-fille d’un sénateur, qui lui a valu le prix Goncourt en 2007. Guillaume Barbot a adapté le roman sous une forme musicale réussie, réunissant autour de Lola Naymark trois musiciens talentueux qui savent aussi donner la réplique.

Lola Naymark captive d’emblée. On dit de certains artistes ou personnalités qu’elles sont solaires. La comédienne est, elle, lunaire. Le visage pale sous une douche de lumière, qui dès les premières secondes de la pièce respire la fragilité et l’émotivité, captive d’emblée. Elle joue le tourment et la folie admirablement. Là où elle est la moins convaincante, c’est dans les moments chorégraphiés, ce qui est malheureusement regrettable en raison non seulement de l’obsession de Zelda pour la danse et de la contextualisation de l’histoire, en pleines années folles. Mais cela a peu d’importance tant le reste de son jeu est convaincant, véritablement habitée (jusque dans les saluts durant lesquels son émotion très vive est encore palpable) par son rôle de femme à la fois libre et prisonnière, animée d’une énergie vitale et créatrice hors du commun, et censurée par son mari qu’elle admire mais qui ne supporte ni son talent, ni sa (relative) indépendance, même si les deux lui servent de matière littéraire. Car Scott Fitzgerald non seulement s’inspire de sa vie avec celle qu’il a rencontrée alors qu’elle avait 18 ans et épousée deux ans plus tard, que de ses propres écrits, qu’il va piller pour ne pas dire plagier, ne se contentant pas de l’aide inestimable de relecture et donc de perfectionnement qu’elle va lui prodiguer. Si Scott avait autant besoin de Zelda que Zelda avait besoin de Scott, leur relation déséquilibrée additionnée aux premiers succès littéraires et à l’argent aussi vite dépensé que gagné, les conduira dans une spirale d’alcoolisme et de violence pour lui et de schizophrénie pour elle, certainement largement alimentée par une carence affective et un déficit d’attention charnelle de son époux qui la conduira à aller la chercher dans les bras d’un ou plusieurs autres. Non content de la décourager sur le plan littéraire, qui l’obligera à se cacher pour écrire et à se réfugier aussi dans la peinture où elle fait moins concurrence, Scott la privera de ses droits sur leur unique fille et la fera interner dans des établissements psychiatriques divers, subissant des traitements qui l’ont autant détruite qu’apaisée.

Lola Naymark incarne cette folle aventure personnelle et intime, dans une scénographie et mise en scène absolument remarquables. Un chemin circulaire et surélevé de bois sombre, comme celui des montagnes russes la folie, qui est également le plancher forcément bancal de ses rendez-vous psychiatriques et le support de ses écrits tourmentés, où l’inversion des couleurs fait sens (écriture blanche sur « page » noire). Il sert également d’écrin aux musiciens qui n’accompagnent pas le spectacle mais le font, en resituant l’ambiance sonore des années folles, mais aussi en incarnant les crises du couple avec Thibault Perriard (Scott) jouant de la batterie comme avec sa vie, Louis Caratini enchaînant au piano des mélodies, pleines des promesses d’amour serein et épanoui d’un aviateur certes de passage, mais qui donnera à Zelda de l’amour physique une autre idée que celle qu’elle a expérimentée rarement mais violemment dans les bras de son époux. Il n’est pas étonnant d’apprendre que Pierre-Marie Braye-Weppe est un élève de Didier Lockwood tant il excelle au violon et complète idéalement le trio musical.

Alabama Song est le portrait d’une femme et d’une époque, mais qui en dépit de leur spécificité, pourrait parfaitement être celui d’autres femmes contemporaines, y compris au temps de #MeToo qui ne résout pas tout. Une héroïne tragique qui a péri de manière tragique, dans les flammes de sa cellule psychiatrique.

La noirceur apparente de l’argument ne doit pas décourager d’aller voir Alabama Song qui est à la fois un bel hommage à cette femme exceptionnelle et magnifique et un très beau moment de jazz.

 

© Aeldarrig & Benjamin Lebreton

 

Alabama Song, de Gilles Leroy

Mise en scène : Guillaume Barbot

Scénographie : Benjamin Lebreton

Lumières : Nicolas Faucheux assisté d’Aurore Beck

Costumes : Benjamin Moreau

Conception musicale collective, direction Pierre-Marie Braye-Weppe

Son : Nicolas Barillot assisté de Camille Audergon

Regard chorégraphique : Bastien Lefèvre

Assistanat à la mise en scène : Stéphane Temkine

Regard dramaturgique : Agathe Peyrard

Régie son : Camille Audergon, Vincent Chabo

 

Avec : Lola Naymark et les musiciens-acteurs Pierre-Marie Braye-Weppe, Louis Caratini, Thibault Perriard

 

 

Durée 1 h 15 (2 h 15 en tout si utilisation de la navette du théâtre)

Jusqu’au 26 juillet, 9 h 40 (si départ avec la navette de la Manufacture), relâche le 20 juillet

 

Alabama Song

La Manufacture (Patinoire)

84 000 Avignon

www.lamanufacture.org

 

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