© Jean-Louis Fernandez (photo des répétitions)
ƒƒ Article de Corinne François-Denève
« C’est fragile, une actrice », disait Romy Schneider dans L’Important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski. L’actrice de Pascal Rambert est plus que fragile : elle agonise sur son lit durant toute la pièce, rejouant le dernier acte de La Dame aux camélias ou de La Traviata. A cette différence près, évidemment, que l’Eugenia de Rambert est une artiste, et non une courtisane. Il sera beaucoup question de son métier de comédienne ; c’est d’ailleurs, on s’en doute, vu le titre, un des arguments de la pièce. Point de suspense inutile : elle meurt à la fin. Le public est donc convié à assister aux deux dernières heures de vie de l’actrice, en vertu du slogan martelé dans la pièce : « le théâtre est le lieu de la représentation de la condition humaine ».
Rambert situe sa pièce dans une Russie fantasmée (la pièce a été écrite pour le Théâtre d’Art de Moscou en 2015). Les personnages s’appellent Eugenia, Ksenia, Dimitri, Galina… (Rambert a aussi beaucoup travaillé avec la comédienne russe Evgeniya Dobrovolskaya). La filiation avec Tchekhov est évidente. « Eugenia » convoque les figures d’actrices du théâtre russe – celles de La Mouette en particulier, pièce souvent citée. Il est plus difficile de situer Actrice dans un temps très clair. Les personnages sont vêtus de costumes modernes, ont des voitures et des portables. La sœur d’Eugenia et son mari ont réussi dans les affaires, se convertissant à un capitalisme sauvage, tandis qu’Eugenia et ses parents continuent à vivre dans leur appartement communautaire. Ce flou est l’occasion pour Rambert de glisser quelques saillies sur le déclin de la culture, la frilosité des politiques, le manque de concentration des spectateurs devant toute pièce qui dépasse une heure – Actrice dure plus de deux heures, et pourrait sans doute durer moins. Autre élément de brouillage, la « diversité » de la distribution, qui fait la part belle à des physiques, des voix, des accents différents. C’est bien le theatrum mundi, mais au sens de « théâtre du (vaste) monde », qui est présent sur scène. Rambert a voulu travailler « la vie entre les langues » sur le plateau, engageant des acteurs non francophones aux formations théâtrales variées. Parfois le texte se perd.
Une actrice se meurt. Elle ne veut pas mourir, se révolte. Ses parents se désolent. Ses enfants pleurent ou boudent. Son mari boit. Ses camarades lui rendent des visites plus ou moins opportunes. Du métier d’actrice, on n’apprendra pas grand chose de révolutionnaire : l’actrice est une femme libre, si elle s’occupe peu de ses enfants, c’est parce qu’elle vit pour son art. Quand elle meurt, on ne sait si elle joue sa mort ou la vit. Les Goncourt, dans La Faustin, n’avaient pas dit autre chose. Rambert écrit un texte profus, lyrique, parfois ampoulé et sentencieux. « L’actrice, c’est… », « le théâtre nô, c’est… », « la mort, c’est… » : on se croirait dans un cours de licence 1 d’études théâtrales, ou de philo, au sein duquel, tirant un peu la langue, on s’arrache les flancs pour trouver des formules brillantes sur l’art, la vie, la mort, l’amour. Certains développements paraissent inutilement longs. La rédemption de la méchante sœur est terriblement convenue. Il y a une pièce dans la pièce (une pantomime avec texte, les plus cuistres comprendront, ou pas). Et on était sûr que cette réunion de famille hystérique (Festen again à Moscou) se terminerait sur l’acmé d’un air d’opéra – en vinyle, évidemment, on est chez des artistes.
La scénographie est monumentale. Des milliers de fleurs envahissent le plateau, symbolisant l’amour du public pour la comédienne. Sur scène se heurtent différents types de jeu. Jeu peu assuré des plus jeunes comédiens (sauf ceux qui justement jouent les enfants avec une force et une assurance peu communes), diction faiblarde, maniérisme et afféterie qui semblent désormais tenir lieu de style. Jeu « naturaliste » et physique pour les deux quadragénaires finlandais de la pièce. Jeu hésitant des acteurs plus âgés, dans leur texte comme dans leurs placements. La pièce hésite entre ridicule et sublime, la frontière entre les deux est d’ailleurs souvent ténue, pas seulement chez Rambert.
Ce qui rend la pièce sublime, c’est la présence de l’actrice, Marina Hands. Hurlant dans la pénombre sa terreur de mourir, jetant au ciel ses imprécations et ses proférations, puis se réfugiant, mutine et enfantine, sur son lit, elle livre toute sa force et sa beauté de tragédienne. Par son jeu, elle soutient aussi celui de ses camarades – démonstration, s’il en était besoin, du pouvoir rayonnant des vraies actrices.
Actrice, de Pascal Rambert
Mise en scène et scénographie Pascal Rambert
Avec Marina Hands, Audrey Bonnet et Ruth Nüesch, Jakob Öhrman, Elmer Bäck, Yuming Hey, Emmanuel Cuchet, Luc Bataïni, Jean Guizerix, Rasmus Slätis, Sifan Shao, Laetitia Somé, Hayat Amiri, Lyna Khoudri et Anas Abidar en alternance avec Nathan Aznar et Samuel Kircher
Lumières Yves Godin
Costumes Anaïs Romand
Assistante à la mise en scène et directrice de production Pauline Roussille
Durée 2h15 environ
Du 12 au 30 décembre 2017 à 20h30
Du mardi au samedi, matinée le dimanche 17 décembre à 16h
En tournée en 2018 à Annecy, Tarbes, Strasbourg…
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, bd de La Chapelle
75010 Paris
Réservations 01 46 07 34 50
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