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Abysses, Davide Enia, mise en scène Alexandra Tobelaim, au 104, Festival Les Singulier.es

Jan 16, 2024 | Commentaires fermés sur Abysses, Davide Enia, mise en scène Alexandra Tobelaim, au 104, Festival Les Singulier.es

 

© Matthieu Edet

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

La création d’Abysses devait avoir lieu au NEST en novembre 2020. Elle a été reportée pour les raisons que l’on sait et a finalement été présentée aux professionnels et à la presse en ce mois de mars dans le très beau théâtre en bois du CDN transfrontalier de Thionville.

C’est sa nouvelle directrice (depuis 2020), Alexandra Tobelaim, qui s’est emparée de la mise en scène du dernier texte de Davide Enia, traduit de l’italien par Olivier Favier, et joué depuis 2019 en Italie.

C’est un texte très personnel que livre l’auteur sicilien, des morceaux de vie qu’il avait déjà racontés dans son roman La loi de la mer (publié en français chez Albin Michel en 2018). Un fils et son père qui se rendent à Lampedusa et font l’expérience des « débarquements », c’est-à-dire l’arrivée sur le sol italien, donc européen, de migrants arrivant par la mer Méditerranée, cette mer qui peut se déchaîner et déchiqueter les embarcations de fortune sur lesquelles des hommes et des femmes sont transportés, toujours trop nombreux, souvent entassés à fond de cale, et dans le meilleur des cas secourus par des bénévoles ou des pêcheurs aux abords des côtes.

L’originalité du texte est de raconter cette terrible catastrophe humaine, affreusement appelée « crise des migrants », qui ne fait plus la une des médias depuis que la Covid a supplanté tout autre cataclysme, du point de vue des sauveteurs et non des victimes, à la différence de la plupart des travaux artistiques, nombreux ces dernières années, dont certains dramaturgiques très allégoriques comment la Trilogie du naufrage de Lina Prosa.

Le narrateur se place en position d’observateur, mais aussi de transmetteur. Il recueille le récit et l’expérience d’un plongeur et de ses amis bénévoles, il livre son ressenti et celui de son père, en plaçant en miroir, de manière peut-être parfois un peu plaquée, l’histoire universelle de ces êtres humains en souffrance dans leur exil, en danger dans leur traversée et tentative d’atteindre une vie meilleure ailleurs (c’est-à-dire sur le continent européen) et son histoire familiale propre, traversée par des difficultés également universelles (intergénérationnelles et drames de la maladie). Il ne s’agit évidemment nullement de hiérarchiser (même indirectement) les souffrances, mais de rythmer le récit par des tranches de pur réalisme, que ce soit dans celui d’un sauvetage qui n’épargne aucun détail morbide ou dans celui de la communication difficile entre un fils et son père. Le spectateur se sent emporté avec le plongeur dans la tempête, prêt à chavirer et se trouve face à l’indicible sort réservé à nos frères humains et aux choix impossibles (sauver une mère et son enfant ou trois personnes…). S’il le frôle parfois, Davide Enia réussit à éviter le misérabilisme propre à ce type de thématiques.

Le comédien seul en scène, devient subtilement la bouche de différents personnages (l’auteur, son père, son oncle, sa compagne, son couple d’amis, le plongeur, le gardien du cimetière) à travers des monologues parfois hurlés et débités à un rythme effréné.

Solal Bouloudnine avait déjà prêté sa voix en 2011 à un texte précédent (Italie-Brésil 3à2) de l’auteur sicilien, monté également par Alexandra Tobelaim, qu’il a joué six années durant.

La composition musicale de Claire Vailler et Olivier Mellano n’ajoute pas une ambiance ou un fond sonore au spectacle. Elle est spectacle, elle fait spectacle. La chanteuse illustre la dramaturgie du récit, sans jamais donner l’impression de simplement l’accompagner ou la soutenir. La voix de Claire Vailler est sublime de justesse, qu’elle soit amplifiée en milieu de plateau par les micros et pédales de réverbération ou a capella, en italien, adossée aux murs en bois du fond de scène.

Si quelques transitions musicales et lumières doivent encore être affinées avec les moments où seul le texte est présent sur scène et notamment pour éviter la fausse conclusion finale (même si le rappel du mythe d’Europa n’est pas forcément indispensable, à moins de vouloir à tout prix quitter l’émotion menée à son acmé par le morceau de bravoure qui précède pour ménager les spectateurs), Abysses est une très belle proposition de théâtre-récit sur la migration, qui ne nécessite donc que de menus ajustements pour bientôt toucher son public.

 

 

© Matthieu Edet

 

 

Abysses de Davide Enia

Mise en scène Alexandra Tobelaim

Traduction Olivier Favier

Scénographie Olivier Thomas

Création lumière Alexandre Martre

Composition musicale Claire Vailler et Olivier Mellano

Régie son et régie générale Emime Wacquiez

 

Avec : Solal Bouloudnine, Claire Vailler (guitare et voix)

 

du 18 au 20 janvier 2024

le 18 à 20h30, le 19 & 20 à 19h

Durée 1 h 30

 

Le 104

5 rue Curial

75019 Paris

réservation : 01 53 50 00

www.billeterie.104.fr

 

vu au NEST, CDN transfrontalier de Thionville Grand Est en mars 2021

30 avenue Foch 57100 Thionville

 

 

 

 

 

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