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Absalon, Absalon !  d’après William Faulkner, adaptation et mise en scène de Séverine Chavrier, à la Fabrica, Festival d’Avignon IN

Juil 01, 2024 | Commentaires fermés sur Absalon, Absalon !  d’après William Faulkner, adaptation et mise en scène de Séverine Chavrier, à la Fabrica, Festival d’Avignon IN

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Si vous n’aimez pas le cinéma, les marathons multimédias fuyez Absalon ! Absalon ! Sinon plongez-vous dans un spectacle total, où les comédiens, ahurissants de présence surgissent, en chair et en os de projections vidéo, se meuvent, se frôlent, souvent de dos, et dialoguent autant pour l’œil de caméras invisibles que face à nous.

Adapter le livre monde de Faulkner aux ramifications tentaculaires défie l’entendement. Soit un « petit blanc » pauvre qui se fait renvoyer par un esclave noir quand il sonne à une porte de riches planteurs à l’âge de 12 ans. Mû par la soif de vengeance et de reconnaissance sociale, il bâtit une maison à coup de destruction et d’exploitation. Cet homme en quête de réussite sociale et de descendance connaît une ascension fulgurante suivi d’un déclin. Sa lignée se damnera dans le fratricide et les liens incestueux non consommés. Le roman nous conte, dans une chronologie complétement éclatée, l’histoire de cet homme Thomas Stupen. Il y a l’histoire sur fond de guerre de Sécession, puis l’histoire de l’histoire surplombant l’histoire, la faisant entrer en résonance et s’amplifier dans la vie de ceux qui la racontent. Quentin Compson, un personnage du bruit et la fureur est celui à qui on raconte. Sur lui déferle le récit des descendants. Par un coup de force inouï, Faulkner crée une histoire différente selon celui qui la transmet, montrant que la fiction définit le réel diffracté dans les histoires de chacun. Nous ne saurons jamais vraiment quel fut l’enchaînement des crimes, qui a commencé. « Ce n’est pas un suspens narratif mais un suspens en spirale » dit Séverine Chavrier, anxiogène comme une malédiction qui touche tous ceux qui, de près ou de loin, approchent ce récit maudit, dans la moiteur étouffante du Sud.

La metteuse en scène crée un dispositif à la hauteur de l’événement avec un plateau ocre, terre de diatomée, qui enferme les protagonistes dans des espaces clos, intérieurs de bagnoles de série B, motel paumé ou maison coloniale pharaonique à plusieurs étages comme des cubes étanches que l’on traverse un à un jusqu’au toit dans un amoncellement de ponts et de coursives. On se croirait sur un bateau. L’usage de la vidéo rend visible les hors-champs avec un entrelacs de scènes, plans séquences, jeux de lumière et effets spéciaux. Le tout ressemble à ces projections en plein air sur des grands espaces et des parkings, où l’on peut regarder un film sur écran géant depuis sa voiture. La narration progresse en cercles concentriques, jamais abstraite et toujours visuelle. Elle use à loisir des ruptures temporelles – on ne peut plus vraiment parler de flashbacks à ce stade avec des monologues enchâssés, des dialogues pleins de tours et de détours.

Laurent Papot dans le rôle-titre est impressionnant. Il habite son personnage avec une puissance physique qui n’a d’égale qu’un Daniel Day-Lewis dans There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. Il est sale, fourbe et brutal, criblé de tics et passe sa vie à sucer le sang d’une humanité qu’il exploite. Repoussant et fascinant l’acteur est prodigieux d’intensité. Autour de lui une humanité imbibée d’alcool s’agite, habitée par des visions du général John Bell Hood, illustre vétéran texan avec cette empreinte que la glaise laisse dans leur chair, l’effroyable volonté d’appartenir pour tout rebâtir à partir de rien. La musique live d’Armel Malonga accompagne cette chanson de geste moderne dans un sud fantasmé, réservoir inépuisable de ballades funk, jazz et soul tandis que la belle voix rauque d’Annie Mercier perpétue la mémoire des disparus.

Trop plein, trop emphatique, et trop long, ce spectacle est si brûlant que nos sens saturés décrochent par instant et l’on cherche le fil du récit de Faulkner. Séverine Chabrier s’exonère du sens stricto sensu pour composer une fresque épique comme on compose une symphonie, faite d’images, de sons, de bruit et de fureur sur fond de guerre de Troie des Etats Unis. Moyennant quoi sa scénographie hystérique fait surgir au plateau la tragédie shakespearienne, ce lent et différé dévoilement d’une damnation originelle qui explique l’échec d’une famille mais plus largement d’une nation maudite. Le sang de la terre souille le sol, le corps et le cœur des hommes, cette terre du sud infestée de serpents venimeux et de chiens galeux qui n’est pas encore détruite par l’industrialisation, tandis que plus à l’ouest en Californie un certain David Wark Griffith s’apprête à transformer les orangeraies en usines à rêve hollywoodiennes. Quand on quitte la Fabrica au bout de cinq heures, on a l’impression d’avoir embarqué dans un train fantôme chargé d’explosifs qui peuvent nous péter à la figure à tout moment, la cruauté côtoie la mélancolie dans une méditation sur le mal inoubliable.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Absalon, Absalon !  D’après William Faulkner,

Adaptation et mise en scène : Séverine Chavrier

Scénographie : Louise Sari

Son : Simon d’Anselme de Puisaye et Séverine Chavrier

Lumière : Germain Fourvel

Vidéo : Quentin Vigier

Costumes : Clément Vachelard

Cadrage : Claire Willemann

Éducation des oiseaux Tristan Plot

Dramaturgie et assistanat à la mise en scène : Marie Fortuit, Marion Platevoet et Baudouin Woehl

Avec Pierre Artières-Glissant, Maric Barbereau, Daphné Biiga Nwanak, Victoire du Bois, Jérôme de Falloise, Alban Guyon, Jimy Lapert, Armel Malonga, Annie Mercier, Hendrickx Ntela, Laurent Papot

 

Du 29 juin au 07 juillet à 16h

5h avec deux entractes

 

La Fabrica

11 rue Paul Achard

84 000 Avignon

Réservation :04 90 14 14 14

www.festival-avignon.com 

Reprise du 26 mars au 11 avril 2025 à l’Odéon Théâtre de l’Europe Paris

 

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