© Takuya Matsumi
article de Denis Sanglard
About Kazuo Ohno ou l’art de nous faire prendre de tristes vessies pour des lanternes ! Non ça ne marche pas… Takao Kawaguchi, performeur et danseur non apparenté au butô, s’empare de la figure de Kazuo Ohno, un des fondateurs avec Tatsumi Hijikata, de la danse des ténèbres, le butô. Trois spectacles emblématiques dont l’Hommage à la Argentina qui révéla en France Kazuo Ohno sont ainsi copiés. Et c’est bien là où le bât blesse. Copie conforme certes mais où donc est Kazuo Ohno ? Réduire la danse de ce danseur et chorégraphe à cette pantomime grimaçante, cet artefact creux, est d’une violence rare et ne rend aucunement hommage ni à Kazuo Ohno ni au butô. Parce ce qui faisait la danse de cette figure essentielle du butô c’était bien Kazuo Ohno lui-même où le geste, le corps étaient transcendés par la personnalité propre de Kazuo Ohno et son histoire. Kazuo Ohno dansait sa vie, source qui alimentait sa danse jamais tarie. Expérience indicible, comme souvent le butô qui se nourrit de l’inconscient de chaque danseur et caractérise l’identité, l’originalité, de chacun. Le butô où l’art de la métamorphose, oui. Mais il ne suffit pas de s’effacer, faire le vide pour se métamorphoser. Ce vide-là résonne toujours de votre personnalité qui du particulier devient universel. Le butô c’est plus que le geste qui n’a en soit aucune importance mais la source même, intérieur et inconsciente, de ce geste et qui le nourrit. Et c’est cela que l’on doit voir, non le mouvement mais la source, même fugace. S’ajoute à cela une énergie particulière, dense et travaillée, propre à cette danse, qui la caractérise, et participe de cette présence singulière voire étrange du danseur. L’art du butô est aussi celui de la présence, absolue, dont il dépend. Alors reproduire à l’identique sans cette source essentielle ni l’énergie qui la soutient, évidemment, cela tombe tristement à plat. Copier une chorégraphie, mouvante par nature, en regardant uniquement des vidéos, non. S’emparer d’une danse sans en connaître les arcanes souterrains, non. Le butô n’est jamais, ne peut être l’art de l’imitation parce qu’il se nourrit de celui qui s’en empare. Copier n’est pas créer. La copie ou la transmission se doit de trahir, toujours. Ce qu’avait compris Boris Charmatz s’interrogeant sur Tatsumi Hijikata dans La danseuse malade. Ce qu’avait réalisé Carlotta Ikeda transmettant son solo emblématique Utt, chorégraphié par Ko Morobushi, à Maï Ishiwata, cette dernière ajoutant à l’œuvre originelle sans rien lui retirer. Le résultat est là qui voit un pantin s’agiter de façon artificielle, une poupée creuse, une triste et grotesque parodie. Passons donc. Ce n’est pas ça en soi qui est choquant ou malheureux voire prévisible. Simplement pour ceux qui ignorent tout du butô, pour qui Kazuo Ohno est un inconnu, que vont-ils retenir ? Au sortir de cette création bruissaient quelques remarques d’incompréhension, de refus ou d’admiration pour une chose qui n’était pas ce qu’elle prétend être, du butô et un danseur au final trahi, Kazuo Ohno. De quoi nourrir davantage le malentendu dont cette danse et est souvent l’objet, entre clichés et parodie.
About Kazuo Ohno
Chorégraphie Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata
Concept et danse Takao Kawaguchi
Dramaturgie, son et vidéo Naoto Lina
Lumières Toshio Mizohata
Costumes Noriko Kitamura
Apparition dans la vidéo, Yoshito Ohno
Du 2 au 5 octobre 2019 à 19h30
Théâtre de la Ville-Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Réservation Théâtre de la Ville 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
Réservations festival d’automne 01 53 45 17 17
comment closed