À l'affiche, Critiques // Abigail’s Party, d’après Mike Leigh, mise en scène de Thierry Harcourt, Théâtre de Poche

Abigail’s Party, d’après Mike Leigh, mise en scène de Thierry Harcourt, Théâtre de Poche

Fév 06, 2017 | Commentaires fermés sur Abigail’s Party, d’après Mike Leigh, mise en scène de Thierry Harcourt, Théâtre de Poche

ƒƒ article de  Corinne François-Denève

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Ce soir, c’est Beverly qui reçoit. Sont invités ses nouveaux voisins, un tout jeune couple, Angela et Tony. Elle est infirmière, il est informaticien, après avoir touché du doigt une brillante carrière de footballeur. Est aussi invitée une autre voisine, Susan. Celle-ci a moins de chance : son architecte de mari l’a quittée, et l’a laissée avec leurs enfants – dont Agigail, jeune ado de quinze ans, qui donne justement une party ce soir. Beverly est mariée depuis trois ans avec Peter. L’ennui s’est déjà insinué dans leur couple – mais on sait recevoir, quand même. Il y aura des bières, et surtout plein de Bloody Mary, et de gin tonic avec glace et citron.

Au début, on craint le pire : l’esthétique seventies choisie par Thierry Harcourt, sans doute pour fêter le quarantième anniversaire de la pièce, née au cœur des très contestables, en matière de décoration intérieure, années 70, nous plonge dans des abîmes d’angoisse. Doit-on vraiment affronter à nouveau ces cauchemars d’enfance – lampes orange, porte-cigarettes supposément design et simplement absurdes, vestes en velours marron, combinaisons en synthétique moulantes, de couleur indéterminée, aux motifs improbables ? Les premières minutes de la pièce ne nous rassurent guère : ces « Beverly », « Ange », « Tony » parlent comme dans un soap – resucée à l’anglaise d’Au théâtre ce soir, ou parodie très vingt-cinquième degré ?, la soirée promet d’être longue.

Assez vite toutefois, la petite musique de Mike Leigh se fait entendre. Pièce « patrimoniale » du théâtre anglais, elle fait entendre des airs connus. Dans le sillage d’Edward Albee et de son Who’s afraid of Virginia Woolf, Leigh chronique la déliquescence d’un couple, sous les yeux de spectateurs captifs – leurs invités, le public. Les flamboyants universitaires d’Albee ont toutefois cédé la place à des héros « moyens », issus de la lower middle class, avides d’ascension sociale, vulgaires et limite racistes. Dans l’adaptation de Gérald Sibleyras, Beverly aime Julio Iglesias et Elvis Presley, Peter ne jure que par Dickens et Schubert. Pas de quoi se déchirer, à moins que l’absence d’enfant n’exacerbe les rancœurs rentrées. Beverly et Peter, qui semblent se détester, annoncent les affreux Tom et Gerri d’Another year, par leur égoïsme, leur façon de se donner en spectacle, de considérer les autres comme des satellites gravitant autour de leur royaume – ils méprisent et martyrisent Susan, en particulier, la divorcée bien mieux élevée qu’eux. Une heure pour faire connaissance, attendre les disputes, les cris, espérer que la danse apaise les tensions, tandis qu’on ne cesse de remplir les verres qui ne cessent de se vider – et le drame arrive, évidemment, implacable et cruel, mais surprenant quand même.

Pour orchestrer cette dispute chorale, qui tient autant du vaudeville que de la tragédie, il faut un rythme impeccable, tenu par les cinq acteurs de la troupe. « Punchlines » qui font mouche, changements de tons et de registres, l’ensemble est parfaitement maîtrisé. Chaque acteur incarne parfaitement son personnage – hystérie sur le fil de Beverly, frustration qui affleure chez Peter, malaise de moins en moins rentré et de moins en moins poli de Susan, brave fille un peu effrayée pour Angela, bonne nature virile et brusque, toujours au bord de la violence, de Tony. Dans ce jeu de massacre sur fond de chromatisme marronnasse, on distinguera particulièrement les compositions de Cédric Carlier, impeccable en pseudo-George Best monosyllabique et bas du front, de Dimitri Rataud, en agent immobilier qui a des aspirations artistiques, et surtout d’Alexie Ribes, bombe blonde à la Farah Fawcett, gentille et greluche, idiote et aimable, indispensable et déchirante.

 

Abigail’s Party de Mike Leigh
Adaptation : Gérald Sibleyras
Mise en scène : Thierry Harcourt
Avec : Cédric Carlier, Dimitri Rataud, Alexie Ribes, Lara Suyeux, Séverine Vincent
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Décor et accessoires : Marius Strasser
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Son : Camille Urvoy
Assistante aux lumières : Jessica Duclos
Maquillages, perruque et coiffures : Catherine Saint-Sever
Assistante à la mise en scène : Stéphanie Froeliger
du mardi au samedi à 21h, dimanche à 15h
Relâches exceptionnelles les 8 et 9 juin 2017

Durée 1h25

Théâtre de Poche Montparnasse
75 Boulevard du Montparnasse
75006 Paris
01 45 44 50 21

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