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« A mon âge je me cache encore pour fumer » de Rayhana mise en scène Fabian Chappuis, à la Maison des métallos

Déc 11, 2014 | Commentaires fermés sur « A mon âge je me cache encore pour fumer » de Rayhana mise en scène Fabian Chappuis, à la Maison des métallos

ƒ article de Suzanne Teïbi

 a-mon-age-1© Bastien Capela

Voix de femmes, corps de femmes

Dans l’Alger des années 90, le temps d’une journée, huit femmes se retrouvent au hammam, lieu d’échange et de refuge par excellence, de règlements de compte aussi. Dehors, la nouvelle a fait le tour du quartier, la jeune Myriam, qui a sali l’honneur familial – elle est enceinte hors mariage – est maintenant sur le point d’accoucher. A-t-elle « pris son ventre » au hammam, en traînant trop près du coin des hommes, celui où ceux-ci se soulagent de leur désir, comme le prétendent les femmes ? A-t-elle fait l’amour, auquel cas avec qui ? Ce qui est sûr, c’est que son frère la cherche et menace de la tuer. Mais Fatima, la gérante et masseuse, a caché Myriam dans le hammam, à l’insu de Samia, la masseuse-qui-rêve-de-se-marier et seule célibataire du groupe, et des six clientes présentes. Dans ce huis clos, toutes vont se livrer, se confier, se disputer beaucoup, débattre et se défendre, sans se douter que la menace du dehors se rapproche inévitablement.

Tous les profils sont représentés ou presque, dans ce contexte de l’Algérie des années sombres, toutes vont apporter leur point de vue sur la place des femmes, celle qu’elles occupent et celle dont elles rêvent, par le prisme de la question de l’amour. Mariage forcé, arrangé, mariage d’amour, petits arrangements et tromperies, amour comblé ou contrarié, dégoût ou fantasme des hommes. Ces femmes-là représentent toutes les facettes de l’Algérie, dans sa diversité de modes de vie d’alors. Mais à force de vouloir embrasser toute la question de l’amour et du corps des femmes dans une Algérie qui souffre, brasser le politique, le social et l’intime, les éléments s’entrechoquent dans un projet général qui reste superficiellement traité pour un spectacle de moins de deux heures.

Si l’on sait que le corps des femmes a été et est encore l’enjeu de pouvoir par excellence au sein des guerres, le spectacle reste sage pour un projet pourtant dérangeant et nécessaire. La scénographie est simple et épurée – elle pourrait l’être encore davantage afin de permettre au spectateur de se rendre exclusivement disponible aux enjeux politiques, forts et violents. La direction d’actrices, bien que maîtrisée, demeure très classique et timide, le jeu est juste mais convenu, jusque dans l’exaltation ou la colère, les élans d’amour ou de révolte. De fait, la forme – tant dans le texte que dans la mise en scène – ne peut qu’annuler le fond, pourtant profond et passionnant, et résumer le propos à de l’attendu. La pièce devient une pulsion de vie à laquelle manque la vie, l’inattendu, le souffle.

Certes le public réagit, compatit et rit aussi – parfois à des moments qui se prêtent pourtant à des confidences très violentes et douloureuses dans le fond – Fatima ne confie-t-elle pas en creux qu’elle a subi toute sa vie le viol conjugal ? Mais à vouloir défendre jusqu’au bout le point de vue de chacune ces femmes – religieuses ou laïques, résolues ou révoltées, sages ou rebelles – à force de relativiser jusqu’à l’extrême, les points de vue se vident peu à peu de leur substance et peuvent devenir contre-productifs, à l’image du cliché de l’immigrée qui se vante de connaître l’administration française, la CAF et les allocations familiales, au risque, en définitive, de desservir l’image des femmes qui ont douloureusement choisi de quitter leur pays dans l’espoir d’offrir un autre avenir à leurs enfants.

Si A mon âge je me cache encore pour fumer a le mérite d’exister, de donner la parole et de rendre leur corps à ces femmes, que leur fait-on dire ? La question reste ouverte.

A mon âge je me cache encore pour fumer
Texte Rayhana
Mise en scène et scénographie Fabian Chappuis
Assistante à la mise en scène Stéphanie Labbé
Lumières Franck Michallet
Vidéo Bastien Capela
Son Vincent Brunier
Musique Arve Henriksen, Gaâda Diwane de Béchar
Costumes Rayhana
Assistée d’Édouard Funck
Conseil chorégraphique Serge Ricci
Avec Marie Augereau, Géraldine Azouélos, Paula Brunet Sancho, Linda Chaïb, Rébecca Finet, Catherine Giron, Maria Laborit, Taïdir Ouazine et la participation de Frédéric Meille

Du 9 au 21 décembre 2014
Du mardi au vendredi à 20h (sauf le jeudi 11 décembre à 14h), le samedi à 19h, le dimanche à 16h

Maison des métallos
94, rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris
Métro Couronnes ou Parmentier

Réservation 01 47 00 25 20
maisondesmetallos.org

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