© Fabienne Rappeneau

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Marcel Proust recevrait-il aujourd’hui le prix Nobel de littérature ? Il n’avait rien d’un transfuge de classe, ne s’intéressait pas aux soubresauts politiques de son temps, n’avait pas une écriture neutre, moyennant quoi le nerveux confiné dont on a dit qu’il ne terminait pas ses phrases inventa ce concept génial, la réminiscence littéraire. Comme Freud via l’analyse, art, fiction, récit autant que science selon lui, l’écrivain fut un formidable explorateur de la mémoire « ce lac inconnu » à travers son roman du temps perdu.

Rien de moins théâtral que sa recherche surtout si comme Virgil Tanase et David Legras on ne privilégie pas le bestiaire de la comédie humaine, la Verdurin, les Guermantes, Charlus, Albertine, Gilberte… mais la genèse d’une écriture, cette perception impressionniste de la réalité, si singulière et si universelle que nous la reconnaissons comme notre.

Quelques traces posées sur le plateau, un petit landau, une poupée de chiffon, un miroir, un fauteuil, un gramophone et Marcel, heureux d’être triste, avec ses phrases en rouleaux qui n’en finissent pas de mourir, suspension perpétuelle d’une vision. David Legras se coule dans ce verbe sinueux, sobriété des gestes et acuité d’esprit caractérisent ce comédien élégant. Il épouse les pleins et les déliés d’un auteur qui cherche le mot juste, la métaphore qui fait que « tout le confus de notre être sort du chaos, prend conscience et nous nous imaginons avoir éprouvé nous-mêmes ce détail, nous le reconnaissons, l’adoptons, et c’est notre passé que ce foisonnement vient enrichir. » On ferme les yeux par moments, le petit mur jaune de Vermeer, la coquille de nacre d’un sablé, la peau de pêche d’Albertine, le lacet d’une bottine, tout est là, la petite musique de chambre du comédien nous attrape et ne nous lâche plus. Son corps incarne la réminiscence, quand la chair se souvient mais ne sait pas de quoi, ces signes qu’il s’agit d’interpréter, le monologue se termine d’ailleurs par cette adresse au public : « le seul moyen pour […] retrouver le temps perdu c’est […] de faire sortir de la pénombre ce que nous sentons, de le convertir en équivalent spirituel. Or ce moyen qu’est ce autre chose que l’art ? ». Sur l’écrin noir de ses nuits blanches, le passé ne passe pas, Marcel vit comme il écrit « la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ».

Que vous ayez lu, relu comme on dit, ou fait l’impasse sur la recherche, allez-y parce qu’avant tout vous vivrez un moment pur de théâtre. En sortant de la Contrescarpe, respirez, imaginez la place du Panthéon, l’ombre de Swann, l’ivoire d’un biscuit, l’écho d’une voix, l’écume d’un jour, « un peu de temps à l’état pur », vous verrez c’est beaucoup mieux que les selfies pour se souvenir. Le théâtre comme la psychanalyse est un art du dire et les paroles résonnent longtemps !

© Fabienne Rappeneau

A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust

Mise en scène : Virgile Tanase

Jeu : David Legras

Durée : 1 h 15

Jusqu’au 26 décembre 2022

Les dimanches à 14 h 30 et lundi à 19 h

Théâtre de la contrescarpe

5 rue Blainville

Paris 75005

Réservation : 01 42 01 81 88

billeterie@théatredelacontrescarpe.fr

 Exposition Marcel Proust, La Fabrique de l’œuvre, exposition à la BNF Paris, jusqu’au 22 janvier 2023

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