© Koria
ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Décidément le rappeur Kery James aime parler de justice au théâtre. On l’avait déjà vu en 2017 au Rond-Point dans un premier spectacle très réussi, À vif, proposer une joute verbale poétique et politique entre deux avocats faisant s’affronter deux France sur les questions essentielles d’intégration, d’éducation, de repli communautaire et de racisme, sur fond de préjugés et de lutte des classes.
Cette fois à Chaillot, Kery James reprend la même idée d’affrontement à la fois physique et verbal en plusieurs chapitres au intitulés didactiques, entre un avocat et un juge dans un face à face sous contrainte pour le second, pris en otage dans son grand bureau cossu de la Cour d’appel de Paris, menacé par un 8 millimètres et condamné d’avance par Souleymaan, avocat certes, mais surtout frère d’une victime de violences policières, abattu dans le dos par un policier libéré par le juge.
La thématique principale, objet de toutes les dénonciations, est bien les violences policières, mais parallèlement aussi, ce sont les rapports de classe qui sont à nouveau stigmatisés pour mieux permettre d’expliquer l’affrontement entre deux mondes, parallèles en somme.
Si le propos est évidemment résolument politique et orienté et que l’on frôle souvent une forme de caricature, la police n’étant présentée que de manière univoque, comme une corporation sans nuance et avec laquelle la Justice serait entièrement soudée, le texte très rythmé, comme dans le spectacle précédent (mais qui n’est slamé que pour la conclusion), invite in fine évidemment le public à réfléchir, faits et chiffres à l’appui, mais aussi à l’exemple des lois adoptées et de leurs insuffisances avérées.
Les deux comédiens, Kerry James et Jérôme Kircher, copieusement applaudis le soir de première, ont mis l’un et l’autre un peu de temps à entrer dans leurs rôles, le dispositif scénique reposant principalement sur deux caméras tournant en cercle autour d’eux sur un rail entourant le plateau circulaire surmonté d’un écran projetant des gros plans ou détails (les photos de la fille et l’ex-femme du juge sur le bureau par exemple), ne facilitant peut-être la concentration initiale. A mi-parcours, c’est-à-dire quand on quitte subrepticement le huis-clos sartrien où chacun subit son propre enfer dans le regard de l’autre, les personnages deviennent plus crédibles, tiennent des propos plus nuancés, et une forme de complicité surgit au gré de la découverte de leur humanité. Et curieusement, c’est moins sur le propos principal que le spectacle prend une épaisseur plus dramaturgique, mais sur les digressions périphériques, en particulier sur l’amour filial et marital, avec quelques très belles phrases et métaphores (l’art du kintsugi notamment) sur les exigences de tolérance, d’humilité et de résilience.
Il n’en reste pas moins que le mérite fondamental du spectacle est d’interpeller le spectateur afin qu’il pense avec plus d’acuité les drames auxquels chacun est devenu à l’occasion insensible, tant ils sont récurrents et entrés avec horreur dans la banalité de notre quotidien. Ce faisant, il contribue à attirer au théâtre un public plus diversifié que d’accoutumée, ce dont on doit se réjouir tout en regrettant d’avoir dû le remarquer. La pièce s’achève sur une fin devinée et redoutée, qui ne dément pas le texte de référence qui a inspiré selon toute évidence son titre.
© Simon Gosselin
A huis clos, de Kery James
Mise en scène, scénographie : Marc Lainé
Dramaturgie : Agathe Peyrard
Assistant à la mise en scène : Olivier Werner
Collaboration artistique : Naïlia Chaal
Création et régie vidéo : Baptiste Klein, Yann Philippe
Régie générale : Thomas Crévecoeur
Création lumière : Kévin Briard
Costumes : Marie-Cécile Viault
Création sonore : Clément Rousseaux
Avec : Kery James et Jérôme Kircher
Durée 1h20
Chaillot – Théâtre national de la danse
Salle Firmin Gémier
1 Place du Trocadéro et du 11-Novembre – 750016 Paris
Jusqu’au 14 octobre 2023
www.theatre-chaillot.fr
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