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A capella, de Dorothée Munyaneza, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

Sep 20, 2022 | Commentaires fermés sur A capella, de Dorothée Munyaneza, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

 

 

© Maya Mihindou

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Nous sommes une assemblée. Nous sommes rassemblés autour d’un grand rectangle noir, opaque, formé par les tapis de danse. Nous sommes, par notre simple présence, les commensaux de cette table des absents, nous sommes au bord d’un vide dont le plein nous retient au bord des larmes. Nous sommes A capella, enveloppé par la foule des voix et des chants, par la multitude des plaintes. Nous sommes l’adresse où se déposent comme autant de floraisons spontanées les pétales rouge sang des litanies, la germination véhémente des tremblements, le gargouillement terreux de cris mêlés au souffle étouffé. Dorothée Munyaneza est cette foule, à elle seule, qui nous entoure, nous circonscrit, nous assiège et sa voix s’immisce, s’empare de nous plus sûrement qu’une prise de front. Le rectangle noir ne sera pas foulé, et c’est le plus souvent dans notre dos, ou bien furtivement à travers les membres de cette assemblée que nous formons, que nous la percevrons, comme à travers une porte dérobée, comme ces fantômes que l’on découvrirait au milieu d’un groupe une fois la photo développée, comme un passe-muraille fracturant les cloisons qui séparent les époques et les deuils. Donnant la parole, offrant son corps aux disparus de l’histoire, aux meurtris ensevelis, à ceux-là dont la barbarie et l’horreur ont barré tout accès à nous autres qu’une telle barbarie et horreur dont ils furent victimes ne peut qu’effrayer, Dorothée Munyaneza se fait, dans le nu de cette performance, le porte-voix de ceux qui n’ont plus voix au chapitre.

C’est une cérémonie collective, indubitablement, c’est un arrachement douloureux et lumineux pour entendre ce que le silence recèle de mots tus, de lamentations éteintes, de récits niés. Il y a par cette manière d’emplir l’espace de mélopées comme un profond ébranlement de l’être. Le silence est une porte close. Dorothée Munyaneza frappe, écoute, frappe encore de sa puissante voix comme s’il fallait rompre la parole en deux, le chant en miettes pour faire advenir l’indicible. Le chant, comme le corps de Dorothée Munyaneza traversé de saccades, est morcelé, troué, il converse avec les absents, écoute les répons muets. La voix prend à témoin le silence. Les rares claquements de mains, de doigts, comme de sommaires happeaux pour sonder et appâter l’invisible. Le silence se remplira d’émotions comme une mer intérieure, déchaînée. Le corps de Dorothée Munyaneza se détoure, en quelques gestes ramassés, fugitivement esquissés : une mère, orpheline de son enfant, serrant, berçant le vide. Dorothée Munyaneza accomplit une traversée de la vallée des ombres, performe une emprise sur ce qui ne peut avoir de prise, va jusqu’au bout du geste, comme la voix allant puiser au bout du silence, creusant, scrutant les replis des consciences, dans un effort aussi sensible et éprouvant que la pelle creusant la terre.

A capella, dans une très juste programmation au Festival Echelle Humaine, gravit tous les degrés de l’émotion, de la plus intime à la plus politique. Et à l’instar du dernier roman d’Aharon Appelfeld, La stupeur, et de son héroïne Irena, cette performance chantée de Dorothée Munyaneza agit comme le geste souverain d’une guérisseuse, touche indiciblement et bouleverse.

 

A capella : conception et interprétation, Dorothée Munyaneza

 

Durée : 40 minutes

Les 14 et 15 septembre 2022, à 19 h

 

Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette

9, rue du Plâtre

75004 Paris

www.lafayetteanticipations.com

Tél : +33 (0)1 42 74 95 59

 

 

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