Critiques // « Le Funambule » de Jean Genet, mis en scène par Cédric Gourmelon

« Le Funambule » de Jean Genet, mis en scène par Cédric Gourmelon

Mar 06, 2011 | Aucun commentaire sur « Le Funambule » de Jean Genet, mis en scène par Cédric Gourmelon

Critique de Solveig Deschamps

« Cet amour – mais presque désespéré, mais chargé de tendresse que tu dois montrer à ton fil, il aura autant de force qu’en montre le fil de fer pour te porter. Je connais les objets, leur malignité, leur cruauté, leur gratitude aussi. Le fil était mort – ou si tu veux muet, aveugle – te voici : il va vivre et parler. »

Jean Genet écrit « Le Funambule » au printemps 1957, texte qu’il dédie à Abdallah Bentaga, funambule et son amour d’alors. Il y célèbre le jeune acrobate comme s’il voulait le porter aux nues. C’est « un chant d’amour à l’acte de création ». Ce sont les mots mis sur le combat que doit mener chaque artiste, mots qu’ils retrouvent après quelques années de non-écriture. Le funambule ne frôle t-il pas la mort à chaque pas ? Il lui faut s’oublier, se détacher du quotidien. Abdallah se suicidera en 1964.

© Sébastien Durand

On écoute, on boit les mots de Genet comme s’il lui parlait après qu’ils ont fait l’amour .

Ils sont dans la pénombre, sur le magnifique plateau nu du théâtre de Paris-Villette avec ses arcades apparentes, comme s’ils étaient dans un monastère ou un cirque  romain. Côté cour, une rangée de projecteurs suspendus à une perche descendue à presque hauteur d’homme, seule source de lumière, lumière de Cyril Leclerc qui va petit à petit magnifiquement ensoleiller le plateau comme une préparation du regard du spectateur à l’arrivée du funambule sur le fil. Abdallah (Antoine Kahan) est assis, corps musclé, épaules et jambes nues, attentif, immobile, amoureux, il restera assis à écouter. Le récitant (Raoul Fernandez) avance doucement en avant-scène, on entend ses pas sur le sol, il s’immobilise, c’est troublant de voir à quel point à ce moment précis il ressemble à Genet, il lève lentement le bras droit comme pour tenir le fil sur lequel tout à l’heure le funambule devra marcher. Il ne bougera plus ou presque, seuls ses bras souligneront ses mots, son dos offert à l’homme aimé, la douceur de sa voix, offrande du texte. Où a-t-il puisé cette force si tendre, si sensuelle qui nous fait l’écouter, l’entendre, le comprendre ? Puissance du texte et puissance de l’acteur.

« J’ai souvent eu besoin que les plateaux sur lesquels se déroulent mes spectacles soient vides, comme pour d’autant mieux isoler, mettre en valeur, les êtres. Le vivant. L’acteur, son texte et leur relation d’intimité. »

Entre nos envies et nos réalisations, bien souvent un fossé se creuse mais ici Cédric Gourmelon (metteur en scène, comédien, directeur artistique du Réseau Lilas, compagnie de théâtre basée à Rennes) tient son fil  incroyablement, admirablement. Il nous emmène sans superflu dans un bouillonnement intérieur, on sent la relation passionnelle qu’il entretient avec l’écriture de Genet et qu’il a su transmettre à ses comédiens, qu’il nous fait partager, il ne met pas seulement en scène, il est aussi un remarquable directeur d’acteur.

Et il y a cette dernière image, le corps tendu d’Abdallah en équilibre sur la chaise, image du désir incommensurable de ce jeune homme pour son art, pour Genet. Ce désir qui nous tient en vie et nous rend parfois invincible. Noir sec.
Bon dieu, que c’est beau le théâtre !

Le Funambule
De : Jean Genet
Mise en scène : Cédric Gourmelon
Collaboration artistique : Nathalie Elain
Interprètes : Raoul Fernandez et Antoine Kahan
Lumières : Cyril Leclerc
Décor : Antoine Hordé

Jusqu’au 10 mars 2011

Théâtre Paris-Villette
Parc de la Villette, 211 avenue Jean Jaurès, 75 019 Paris- Réservations 01 40 03 72 23
www.theatre-paris-villette.com

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