Critique de Solveig Deschamps –
C’est comme une petite somnolence, comme si on assistait à un bon boulevard
On ne s’ennuie pas vraiment, on ne s’amuse pas non plus, on se laisse un peu faire. On peut même imaginer que c’est du Pinter mais c’est du François Bégaudeau… « Le Problème » est sa première pièce. Et avec cette première écriture théâtrale on a du mal à imaginer qu’il a été chanteur et parolier d’un groupe punk, et si on se rappelle que Laurent Cantet a porté au cinéma son roman « Entre les murs » et que de plus il participe régulièrement à l’émission « Le cercle » de Frédéric Beigbeder, on comprend peut-être un peu mieux pourquoi on a cette sensation que tout reste en surface, difficile de faire des gros plans au théâtre.
© Giovanni Cittadini Cesi
C’est quoi « Le problème » ?
C’est l’histoire d’Annie, quarante cinq ans, qui décide de partir du foyer pour aller vivre avec son amant; c’est l’histoire d’Alban, son mari de cinquante ans, écrivain; c’est aussi la fin de l’histoire de ce couple qui s’aime sans doute encore, avec elle qui veut vivre ses envies. Et c’est aussi l’histoire des enfants (17 et 22 ans) qui vivent le temps d’une soirée la séparation de leurs parents. Sans état d’âme, « je vais là où on me désire » dit-elle.
Une lettre qu’elle laisse le matin et qui explique son départ , un retour le soir pour une non-confrontation.
Annie : Si j’étais pas passée par une lettre, ça aurait changé quoi ?
Alban : Tu ne vois vraiment pas la différence ? C’est plus grave que je pensais, dis-donc. Tu as perdu tout discernement, ma pauvre.
Annie : Non, non, s’il te plaît non. Pas « ma pauvre ».
Alban, soupirant et rouvrant machinalement son ordinateur : Mieux vaut entendre ça que d’être sourd.
Un temps.
Alban : C’est subtil cette expression. On attendrait « mieux vaut être sourd que d’entendre ça », et puis non, c’est le degré au-dessus de la subtilité. (Un temps, puis sans conviction, pour lui-même, yeux glissant sur l’écran sans le voir.) C’est intéressant.
Annie : Je t’aurais parlé en face tu serais satisfait ? Mais tout va bien alors ! Si c’est que ça !
© Giovanni Cittadini Cesi
Est ce ainsi que les bourgeois vivent ?
Un décor design : grand canapé rectangulaire beige, deux sofas carrés beiges, une grande table basse ovale beige, une cuisine à l’américaine beige. Nous sommes dans un intérieur de bon ton.
C’est bourgeois et un peu ennuyeux, à moins que ce soit la mise en scène et la direction d’acteurs qui nous empêchent d’avoir de l’empathie pour cette histoire, Arnaud Meunier qui vient d’être nommé à la direction de la Comédie de Saint Étienne a opté pour l’ordinaire, le réalisme, pas d’éclats, pas de passion, comme si tout allait de soi, et d’ailleurs tout va de soi, quelques jeux de mots acerbes, pas de larmes, pas de chagrin, pas d’amour serions nous tentés de dire. Aucune révolte, aucune émotion.
Bien sûr que nous comprenons et admettons que c’est dans ce vide que tente de nous emmener Arnaud Meunier mais il aurait fallu un vide plus consistant.
Les comédiens sont bons, c’est vrai qu’elle est pétillante Anaîs Demoustier en petite ado juste ce qu’il faut insolente, c’est vrai que Jacques Bonnafé a l’habitude du théâtre et que ça se sent, c’est vrai qu’Emmanuelle Devos tient son petit chemin un peu trop cinéma, mais est ce de son fait ? C’est vrai qu’Alexandre Lecroc manque de mordant…
Très étrange sensation, cette sensation de « je sais déjà ce qui va se passer », très étrange ce plaisir qu’on y prend quand même, un peu comme devant un bon téléfilm, très étrange…
Je quitte le théâtre du Rond-Point, me voilà avenue Montaigne avec cette phrase entendue sur le plateau « Si on quitte les gens c’est qu’on peut s’en passer, non ? ».
Le Problème
De : François Bégaudeau
Mise en scène : Arnaud Meunier
Avec : Jacques Bonnaffé, Anaïs Demoustier, Emmanuelle Devos, Alexandre Lecroc
Dramaturgie : Julien Fisera
Scénographie : Damien Caille Perret
Costumes : Jurgen Doering, assisté de Laure Villemer
Assistante à la mise en scène : Mélanie Mary
Régie générale : Frédéric Gourdin
Lumière : Romuald Lesné
Son : Benjamin Jaussaud
Du 23 février au 3 avril 2011
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris – Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr