Critiques Livre // Cabarets, de Céline du Chéné, éditions Michel Lafon, une coédition avec France Culture

Cabarets, de Céline du Chéné, éditions Michel Lafon, une coédition avec France Culture

Oct 18, 2025 | Commentaires fermés sur Cabarets, de Céline du Chéné, éditions Michel Lafon, une coédition avec France Culture

 

fff article de Denis Sanglard

C’est un très bel ouvrage sur le cabaret que signe Céline du Chéné, autrice, productrice et documentariste à France Culture, journaliste pour l’émission « Mauvais genres ». Le Cabaret elle connait bien qui avait produit la série documentaire Cabaret et que l’on peut retrouver en podcast (www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-cabaret). Un univers trop souvent cantonné aux strass, aux paillettes, aux girls dénudées, Le Moulin Rouge ou le Lido pour référence, aux travestis de chez Michou. Or le cabaret c’est bien plus que ça, riche d’une histoire singulière, témoin des soubresauts de son temps, précurseur et incubateur de l’avant-garde artistique et d’avancée sociétale d’importance. Ils sont plus de 200 en France, dont 170 en région, souvent implantés à la campagne, loin des grandes villes. De ses origines, simple débit de boisson mais déjà objet de fantasmes et enfer des poètes et littérateurs au premier cabaret artistique crée par Rodolphe Salis, le mythique chat noir de La Belle époque, de ses héritiers et adversaires montmartrois jusqu’à aujourd’hui  la Barbichette crée, après Le Secret, par Monsieur K (Jérôme Marin) et sise à la Machine du Moulin Rouge, Céline du Chéné remonte le cours de leurs histoires, de leurs évolutions et révolutions avec pour dénominateur commun une réinvention artistique perpétuelle, un regard acéré sur le monde. Non, le cancan n’est pas né au Moulin Rouge, La Goulue et Grille d’Egout ne furent pas les premières danseuses de cette danse subversive. Ce fut Amélie Marguerite Badel dite Rigolboche, en 1857, qui inventa ce lever de jambe mécanique à hauteur d’yeux, geste d’une réappropriation pour l’époque scandaleuse. Le chahut, puisque tel était son nom, remontait déjà à 1825, uniquement réservé aux hommes c’était une danse d’improvisation au milieu du quadrille. C’est ainsi une des richesse de cet ouvrage de revenir aux sources et de découdre les clichés afférents aux cabarets et de ses pratiques. Mais surtout ce que Céline du Chéné démontre avec rigueur c’est combien ces lieux furent et sont encore des lieux de fortes résistances et d’émancipation certaine. Il y a loin du [Le] coucher d’Yvette de 1894 qui émoustillait le bourgeois mais qui posait déjà la question de la représentation du corps des femmes et de la nudité sur scène, au Crazy Horse, aux strip-tease burlesque codifié et aujourd’hui le néo-burlesque où le corps dans sa diversité est avant tout un enjeu politique. Et de politique il en est aussi question, indissociable du cabaret. L’exemple du Berlin des années 20, sous la république de Weimar, où tout ne fut que « Vacarme et Fumée » pour reprendre l’expression de Max Reinhardt, nom éponyme de son cabaret ouvert en 1919. Une éclosion artistique sans pareil, un laboratoire culturel marqué par la première guerre mondiale, qui vit naître, entre-autre, l’expressionisme. Marlène Dietrich, Anita Berber, Margot Lion, Claire Waldorf, Valeska Gert… chacune à leur façon furent les figures de proue sulfureuses de ces cabarets satiriques. Berlin fut aussi Berlin La Mauve, point de ralliement des homosexuel.le.s venu.e.s de toute l’Europe. Une effervescence artistique et politique qui prit fin brutalement avec le nazisme en 1933.

Le Cabaret d’aujourd’hui nous rappelle Céline du Chéné est aussi l’héritier d’une longue tradition d’accueil de toutes les sexualités et des genres. De La petite chaumière premier cabaret travesti, ouvert en 1920, du Fétiche premier cabaret lesbien, ouvert en 1926, aux cabarets récents, Victor Victoria (VIVI), cabaret féministe, La Bouche, Poussière, Madame Arthur ou encore La Sirène à Barbe à Dieppe, c’est une communauté LGBTQI+ qui en ces lieux bat haut son pavillon, ne cessant d’expérimenter une pratique artistique toujours subversive, transgressive et dissidente. Chez Madame Arthur puis le Carrousel dans les années 50 Bambi et Coccinelle furent les pionnières de la visibilité trans en France. Et l’on apprend ainsi que Coccinelle obtint son changement d’état civil, prenant le nom de Jacqueline Charlotte Dufresnoy, grâce au combat de son avocat, Robert Badinter. Aujourd’hui les transformistes d’hier sont des « créatures », jouant ainsi sur la fluidité du genre, affirmant là aussi une subversion des codes hétéronormés et du genre. L’art du Drag (queen et king) y a pris également son ampleur.

Comme le souligne Céline du Chéné le cabaret considéré longtemps comme un art « mineur » n’a pas eu d’histoire. Désormais il est enfin considéré, le ministère de la Culture après une longue enquête a créé en janvier 2025 un « Plan Cabaret » pour aider à sa connaissance et sa valorisation, appuyé par des aides au développement des personnages et des créatures et un soutien pour des résidences. Cela par la contribution d’artistes cabarettistes comme Monsieur K, chanteur et maître de cérémonie à la Barbichette, n’ayant de cesse depuis les années 90 d’œuvrer à la reconnaissance de cet art. Monsieur K est actuellement artiste associé au Manège de Reims- Scène Nationale, qui inclut dans sa programmation le cabaret contemporain, une première en France. Julien Fanthou, dit Patachtouille, enseigne le cabaret à la Sorbonne sous forme d’ateliers pluridisciplinaires. Mascare, performeuse et Bili Bellegarde, co-créatrices du Cabaret La Bouche, cabaret queer auto-géré, animent des ateliers… Cet ouvrage indispensable dresse aussi les portraits dans leur diversités des cabarettistes d’aujourd’hui, Corinne, Patachtouille, La Big Bertha, Madame, Robi, Soa de Muse… qui chacun et chacune à leur manière interrogent et bouleversent un art toujours en mutation, bousculant allégrement les codes sociétaux.

Cabarets est un ouvrage pour tous les amateurs du cabaret mais aussi pour ceux qui ignorent encore cet art, son histoire, ses figures singulières et hautes en couleurs, et ces lieux où la bien-pensance est (re)troussée sans façon dans un esprit de partage et de fête. Lieu de combat et de militantisme, d’émancipation, derrière les paillettes, les sequins et le fard. Un refuge aussi pour les amateurs qui trouvent là un espace de liberté et de convivialité unique. Où de la scène (quand il y en a une) à la salle nulle frontière n’existe.

Difficile de résumer ce livre fort érudit et passionnant d’une amoureuse du cabaret – on le devine et pour l’avoir rencontré dans ces lieux interlopes on sait combien elle défend avec passion cet art vivant et toujours fragile – aux nombreuses références littéraires parfois surprenantes, aux illustrations rares et aux photos splendides, aux témoignages importants. C’est un très bel hommage aussi aux artistes d’hier, pionniers et pionnières, et d’aujourd’hui qui perpétuent une tradition, la renouvelle, sans cesser de transcender les normes et bousculer la bienséance, la bien-pensance.

© monsieur Gac

 

 

Cabarets, de Céline du Chéné, édit. Michel Lafon en coédition avec France-Culture

Le mercredi 22 octobre 2025 Le cabaret La Barbichette animé par Monsieur K célébre la sortie du livre, en présence de l’autrice.

 

La Barbichette

La Machine de Moulin Rouge

90 bd de Clichy

75018 Paris

réservations : www.labarbichettecabaret.com

 

 

 

 

 

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