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Hamlet/Fantômes, d’après Shakespeare, texte et mise en scène de Kirill Serebrennikov, musique de Blaise Ubaldini, au Théâtre du Châtelet

Oct 10, 2025 | Commentaires fermés sur Hamlet/Fantômes, d’après Shakespeare, texte et mise en scène de Kirill Serebrennikov, musique de Blaise Ubaldini, au Théâtre du Châtelet

 

© Thomas Amouroux

f article de Denis Sanglard 

Que nous dit Hamlet aujourd’hui que déjà Shakespeare dénonçait ? Est-il encore le reflet de notre époque foutraque, le symptôme de cette folie, de cette violence, qui la traverse ? Que peut dire, par lui, le théâtre de cette crise existentielle et politique que nous traversons lucides et impuissants ? L’injonction du spectre, « souviens-toi de moi », qui oblige Hamlet à l’action, malgré lui et sous la contrainte de la figure paternelle, est-elle encore entendable aujourd’hui ? Kirill Serebrennikov ne met pas l’œuvre originale en scène. C’est une réécriture à laquelle il associe le compositeur Blaise Ubaldini et l’Ensemble intercontemporain pour un geste théâtral performatif qui associe musique, danse et vidéo, ayant eux-mêmes une importance dramaturgique, participant de l’action et non simplement illustration. Ainsi trois notes graves répétées en leitmotiv, portrait musical d’un Hamlet diffracté mais qui lui donne son unité. Ils sont dix sur le plateau, dix reflets d’Hamlet comme autant de reflets d’un miroir brisé, dix se partageant dix chapitres où se percutent les thématiques à l’œuvre dans la pièce de Shakespeare (le théâtre, le père, l’amour, la peur, la violence, le fantôme, la reine, la mort, les Hamlet, le silence) et leur résonnances contemporaines. Ainsi de Chostakovitch (chapitre IV Hamlet et la peur), déclaré ennemie du peuple après la représentation de « Lady McBeth de Mtsensk (« Le chaos remplace la musique », un éditorial de la Pravda qui valut condamnation), attendant une arrestation qui ne vient jamais. Staline, lui, détestait Hamlet. Ou encore de Maria Schneider dans Le dernier tango à Paris, sacrifiée sur « l’autel d’un génie masculin rongé par la violence » * comme l’est Ophélie (Chapitre III Hamlet et l’amour).

Les chapitres s’emboitent que rien ne relie et sans que jamais la forme ne se calcifie. Kirill Serebrennikov ne cherche aucunement une unité stylistique, pour chaque tableau, une esthétique propre. L’acteur entre, l’acteur sort et on passe au chapitre suivant, un autre Hamlet pour une autre performance. De ce maelstrom proche du chaos qui peut lasser, qui lasse parfois par le tournis qu’il provoque, surgit malgré tout une étrange unité disruptive et ce n’est pas le moindre des paradoxes. Cette création étourdissante demande une forte concentration pour ne jamais lâcher les fils narratifs tissant cette toile dramaturgique toujours prêt de se rompre, qui exaspère, agace autant qu’elle fascine. Entre grandiloquence et épure, tragédie et comédie, – Kirill Serebrennikov joue de tous les registres, du plus kitch et convenu au plus sophistiqué et créatif – la folie est le dénominateur commun. Il y a du sang, de la sueur et des larmes, des crânes par brouettée. Mais était-ce là le seul angle d’attaque pour déconstruire une œuvre lequel finit par étrangler, étouffer cette mise en scène profuse et spectaculaire au sens strict du terme au détriment des questions qu’elle pose en profondeur et qui dépasse la simple folie qui n’est, elle, pas la réponse absolue ou du moins pas la seule ? Hamlet résiste à ce vaste palimpseste entrepris par Kirill Serebrennikov.

Si cela tient solidement c’est par la grâce de comédiens qui font montre pour l’ensemble d’un génie pur, une excellence dans leur art, véritables colonnes vertébrale de cette création de bruit et de fureur, ce théâtre-monde représenté par cette distribution volontairement cosmopolite et tout entier contenu dans cet immense salon délabré où la pluie crève le plafond. Sur le plateau c’est une tour de Babel où les langues (allemand, russe, anglais, français) et les traditions de jeu se percutent allégrement. Ainsi August Diehl, acteur allemand, proprement fascinant et magnétique dans le double rôle du père et d’Hamlet. Avant d’incarner Artaud jouant le spectre pour une application radicale du « théâtre de la cruauté ». Ou encore l’intensité dramatique et bouleversante de Filip Avdeev, Chostakovitch, acteur russe. Et Judith Chemla toute de rage brute et de folie latente dans Ophélie, et plus loin Actrice avec un A majuscule, d’une liberté absolue et frondeuse, dans l’interprétation de Sarah Bernhardt jouant simultanément Gertrude et Hamlet (« je ne préfère pas les rôles d’hommes mais les cerveaux d’hommes » disait La Divine). Seul Bertrand de Roffignac, la comparaison avec ses partenaires en devient cruel pour lui, ne parvient pas à se hisser la hauteur du mythe ni des enjeux de cette mise en scène dont les acteurs ont et sont la clef, par son interprétation toujours boursoufflée, sans relief aucun, tournant au ridicule. C’est Yorick se rêvant Hamlet…

*Judith Chemla à propos de son personnage

 

© Vahid Amanpour

 

 

Hamlet/Fantômes, d’après Shakespeare

Texte, mise en scène, scénographie et costumes de Kirill Serebrennikov

Musique (commandée par le Théâtre du Châtelet) de Blaise Ubaldini

Direction musicale : Pierre Bleuse (7, 8, 9 octobre 2025) et Yalda Zamani (11, 12, 14, 15, 16, 17 et 19 octobre 2025)

Collaboration artistique à la scénographie : Olga Pavliuk

Costumes et masques : Shalva Nikvashvili

Chorégraphie : Konstantin Koval

Lumières : Daniil Moskovitch

Vidéo : Ilya Shagalov

Son : Julien Aléonard

Dramaturgie : Anna Shalashova

Dramaturgie musicale : Daniil Orlov

Cadreur : Frol Podlesnyl

Assistant mise en scène : Ekatarina Aleschenko

Collaboration artistique aux costumes : Elizaveta Doroschenkova

Assistant dramaturgie : Youri Rebeko

Surtitres : Macha Zonina, Youri Rebeko

Avec : Filipp Avdeev, Odin Lund Biron, Judith Chemla, August Diehl, Nikita Kukushkin, Kristian Mensa, Shalva Nikvashvili, Danii Orlov, Frol Podiensnyl, Bertrand de Roffignac

Avec les solistes de l’Ensemble intercontemporain

 

Jusqu’au 19 octobre 2025 à 20h

Le dimanche à 15h, relâche le lundi

 

Théâtre du Châtelet

place du Châtelet

75001 Paris

 

Réservations : O1 40 28 28 40

www.chatelet.com

 

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