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[Rakatakatak] C’est le bruit de nos cœurs, écrit par Logan de Carvalho, mise en scène collective par la Compagnie Les Grands Écarts, Théâtre de la Croix Rousse, Lyon

Oct 10, 2025 | Commentaires fermés sur [Rakatakatak] C’est le bruit de nos cœurs, écrit par Logan de Carvalho, mise en scène collective par la Compagnie Les Grands Écarts, Théâtre de la Croix Rousse, Lyon

 

© Julien Bruhat

 

ƒƒ article de Paul Vermersch

Prenant place dans un monde en pleine agonie, Rakatakatak est l’histoire d’un groupe de militant·es exclu·es de l’ordre majoritaire et relégué·es à la périphérie de Paris. Déployant une esthétique d’une sobriété presque totale, le spectacle nous fait traverser une sorte d’ultime bataille, opposant les militant·es, dont on vient d’assiéger le dernier pont qui leur permettait d’être ravitaillé·es, et les forces armées d’un État autoritaire. Une forme hybride qui assume sa méta-théâtralité, où l’engagement des acteurs et la vitalité du jeu servent un propos très net, très défini, qui finit peut-être par écraser un peu la fable.

Dans Rakatakatak, nous suivons le parcours de quatre jeunes résistant·es politiques, aux personnalités très distinctes, très nettement dessinées – allant du militant professionnel à la jeune recrue – qui tentent de survivre à l’assaut de leur dernière route de ravitaillement par l’État en place. On assiste donc à des scènes d’organisation militante, d’actions directes de lutte (des escarmouches sont lancées contre les assiégeants), des moments de solidarité, etc.

Plus on avance dans la forme, plus on comprend en réalité que l’exploration de ce contre-mouvement politique est en fait davantage l’occasion de déployer des idées relatives au militantisme dans un premier temps, puis aux relations amoureuses et interpersonnelles ensuite. Les rapports entre les personnages sont toujours organisés de manière à ce qu’ils et elles soient situés à l’extrême opposé, par exemple : Trac, un des militants, est poly-amoureux et doit collaborer avec Éli, une nouvelle recrue qui sort tout juste d’une relation monogame très longue ou encore le très macho Kamo s’éprend de Driss qui ne cache pas son engagement féministe. Ici, c’est un travail autour de figures qui est entrepris, et si on le prend comme tel, ces figures sont nettes, incarnées avec un engagement notable de la part des acteur·ices. Les positions sont claires : la féministe, le macho, la romantique, etc. Ce que permet la mobilisation de tels clichés c’est de provoquer des combats d’idées : le poly-amoureux explique à l’idéaliste monogame comment il entend mener sa vie, elle pose des questions, le dialogue est relancé, la forme opère. Le public entend ce qui se dit, l’organisation dialogique de la parole nuance les propos, les idées apparaissent.

Si on entend ce spectacle comme une mise au plateau de ces positions politiques et individuelles, alors la forme se présente comme une plongée dans des thématiques brûlantes de notre société contemporaine : l’organisation contre la fascisation des régimes politiques, la remise en question de la forme du couple traditionnel et la mise en place de relations amoureuses multiples, et surtout le rapport à la masculinité, la nécessaire déconstruction à laquelle invite le féminisme contemporain, porté notamment par l’acteur jouant le rôle de Kamo (l’homme viril et très macho). À l’occasion d’un décrochage, il adresse une longue harangue au public dans laquelle il raconte ses efforts pour prendre conscience de ses privilèges en tant qu’homme et ce qu’il met en place pour s’en défaire. Cette invitation, explicitement adressée aux hommes, ne peut être aujourd’hui que bien accueillie, dans un paysage théâtral où prendre la parole pour revendiquer un tel parcours reste un geste assez unique.

Mais, ce que cette frontalité rend possible, le spectacle ne le dépasse pas vraiment. Tout au long de la pièce, le discours arrive plutôt par des prises de paroles que par des situations. Ce n’est pas par la fable futuriste que les idées nous parviennent mais par leur accolement direct dans les dialogues, par ces décrochages méta-théâtraux. Le didactisme finit aussi par peser et on en arrive presque à une pièce à thèse. Finalement, la fabrication des situations passe au second plan, en témoigne la très grande sobriété de la mise en scène, qui invite aux interprètes à figurer tout ce qui leur advient avec trois fois rien (quelques tables). Une esthétique assumée par le spectacle, qui rappelle un théâtre de tréteaux, accessible, mobile, donc politiquement ouvert et aligné avec ce désir de partager des idées, mais qui forcément fonctionne aussi à gros traits. Le code de jeu, la physicalité des acteurs, leur manière de faire vivre les espaces, toute la forme est marquée par cette nécessité de devoir signifier, ce qui finit par déployer une théâtralité à plein d’égards un peu stéréotypée, et un jeu parfois assez poussif, pas forcément très placé entre le clown et des compositions plus légères.

Ceci dit, le spectacle porte une vraie audace, même s’il est limité par les choix esthétiques et théâtraux de sa modalité de parole, de son écriture (quel spectacle ne l’est pas ?), il ouvre des perspectives vers des enjeux politiques cruciaux dans une forme accessible et ludique.

Rakatakatak est lauréat du prix Incandescence 2023.  

 

© Julien Bruhat

 

[Rakatakatak] C’est le bruit de nos cœurs, écrit par Logan de Carvalho

Mise en scène : Logan De Carvalho, en collaboration avec Laure Barida, Géraldine Dupla, Gabriel Lechevalier et Léa Romagny

Sur une idée de Gabriel Lechevalier

Dramaturgie : Gabriel Lechevalier, Camille Mayer, Sophie Présumey

Lumières : Catherine Reverseau

Costumes : Léa Gadbois-Lamer

Administratrice de production et de tournées : Myriam Brugheail

Production : Cie Les Grands Écarts

Avec : Laure Barida, Anthony Breurec, Logan De Carvalho, Géraldine Dupla

 

Du 07 au 10 octobre 2025

Durée : 2h

 

Théâtre de la Croix Rousse

Place Joannès Ambre

69004 Lyon

 

Réservations : 04 72 07 49 49  

www.croix-rousse.com

 

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