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La chambre de l’écrivain, écrit et mis en scène par Marc Lainé, Théâtre des Célestins, Lyon

Oct 08, 2025 | Commentaires fermés sur La chambre de l’écrivain, écrit et mis en scène par Marc Lainé, Théâtre des Célestins, Lyon

 

© Simon Gosselin

 

article de Paul Vermersch

Dernier volet d’un triptyque écrit et mis en scène par Marc Lainé, La chambre de l’écrivain poursuit le travail de l’auteur autour de l’autofiction, à partir du matériau autobiographique de la vie de ses parents.

Dans cet opus, c’est la question de la reconstitution qui est en jeu. Un metteur en scène, Martin, décide de porter au plateau l’histoire de son père et sa mère, Paul et Liliane (figures en réalité plus ou moins directement extraites de la vie de Marc Lainé). Le public assiste ainsi à l’enchâssement de deux plans de réalité : d’un côté des scènes quotidiennes de ce couple soixante-huitard, et de l’autre ce qu’on pourrait appeler les « coulisses » de la fabrication de ces scènes (monologues explicatifs de Martin sur la nécessité d’écrire cette histoire, scènes d’interviews du père pour récupérer du « matériau » pour la pièce, rencontre fortuite avec une technicienne féministe qui va lui ouvrir des perspectives insoupçonnées, etc.). La forme oscille dans cette alternance des récits en s’embourbant, en ayant recours à tout un apanage scénique très compliqué qui finalement ne viendra pas vraiment soutenir de propos, à part celui du récit d’une histoire d’amour un peu mielleuse, ponctuée à grands coups par une violence masculiniste très clichée, le tout convoqué dans une théâtralité vraiment attendue.

Au plateau, c’est la reconstitution d’un appartement bourgeois par des châssis qui, positionnés dans différentes combinaisons révèlent tels ou tels espaces de jeu (correspondant à chaque fois à l’appartement de Liliane et Paul, au théâtre où répète Martin, à la maison de sa mère…). Le dispositif est malin et fonctionne assez bien en ce que rapidement on en comprend le code et qu’on se déplace d’un espace à l’autre aisément, traversant ainsi les différents niveaux de fiction avec fluidité. Pourtant l’usage de la vidéo – qui nous donne à voir ce qui arrive dans les pièces masquées par certaines configurations du décor – pose immédiatement question. On accède dans le même temps à une réalité théâtrale et à une réalité cinématographique : le code de jeu proposé par les interprètes ne le supporte pas. Les réactions à l’écran paraissent d’un coup grotesques, sur-jouées, les personnages hyper composés, on se met à sentir dans l’écriture toutes sortes d’effets pour rendre « réaliste » la parole, on finit par ne plus regarder que cette volonté de paraître crédible.

Parallèlement, l’histoire qui nous est donnée à voir est étrangement indéfinie dans son objet. Paul est un écrivain à succès, professeur de philosophie, issu de la bourgeoisie parisienne et Liliane vient d’un milieu beaucoup plus populaire, elle est militante féministe et nous apparaît comme sous le joug de son conjoint. On sent que pour l’auteur cette situation est comme un point de tension constitutif de la pièce : à une époque où des discours et actions féministes s’organisent de plus en plus largement, à l’intérieur des foyers le patriarcat règne encore en roi. La focale a donc l’air d’être celle-ci, la violence domestique à l’intérieur d’un couple d’intellectuels pas du tout égaux entre eux. Tous les efforts de l’écriture, de la mise en scène, des acteur·ices au plateau sont donc déployés pour montrer cette femme à qui on interdit de faire du bruit parce que son compagnon écrit son futur best-seller, à qui on fait une scène parce qu’elle décide d’elle-même d’avorter, parce qu’elle ne met pas la table. On a l’impression que Marc Lainé vient de découvrir la domination masculine dans les sociétés occidentales et qu’il nous offre, par l’intermédiaire de ce couple fictif (quand même inspiré de ses parents) une constellation de toutes les violences subies par cette femme au sein de son couple, une constellation en réalité assez peu précise, où tous les conflits (peu importe leur nature) sont traités avec une intensité relativement égale. On est un peu gênés, car, au plateau, la simplicité des rapports de force, la manière dont Liliane résiste à son mari (encore une fois par des modalités vraiment convenues : la crise de nerfs, la jalousie) font apparaître un regard vraiment naïf sur ces deux personnages, qui ne finissent plus par avoir l’air de deux ados que des deux écrivain·es que la fiction tente de faire apparaître.

Mais ce qui est profondément dérangeant dans le spectacle c’est surtout sa fin : alors que Liliane a vécu à l’écart de Paul, après l’avoir quitté, après avoir visiblement – au vu de ce que nous donnent à voir les échanges très didactiques qu’elle a ensuite avec son fils Martin – déconstruit, repensé cette vie conjugale, elle demande à son fils (grâce à la « magie du théâtre qui peut reconvoquer les fantômes »…) de pouvoir parler aux deux comédiens qui joue Paul (jeune et vieux). À ces deux hommes qu’on a vus la violenter, lui voler une partie de sa vie pour la réécrire dans leurs travaux respectifs et capitaliser dessus (c’est d’ailleurs la raison de leur rupture), cette femme se met à dire merci. Sous couvert d’avoir vécu une belle histoire d’amour, d’être restée libre jusqu’au bout, ce que raconte le spectacle, c’est que Liliane n’est finalement pas comme les autres femmes de son époque, son enfer, elle l’a choisi, cette relation amoureuse l’aura quand même construite dans ce qu’elle est, c’est grâce à Paul qu’elle a pu s’élever, sortir de sa condition sociale… On est bouche bée devant une telle prouesse. Cette forme qui revendique explicitement son aspiration féministe génère pendant deux heures du spectaculaire, du drame, de l’émotion – accompagnée au violoncelle live – sur la condition d’une femme qui subit de plein fouet une oppression systémique, mais pour préserver le caractère romantique de l’histoire d’amour parentale, pour quand même nous donner une happy-end, finalement, transforme au dernier moment toute cette traversée en parcours libérateur, en une voie d’émancipation. Lunaire.

Que cette histoire, cette manière de regarder cette relation, appartienne véritablement à la femme qui a inspiré le personnage de Liliane – c’est ce que le flou entre le registre fictionnel et biographique laisse à entendre – c’est une chose. Mais dresser la pièce autour d’une telle dramaturgie, d’un tel dénouement, vient complètement annuler sa dimension féministe en réduisant un discours possiblement révélateur d’un système opprimant, qui opère à large échelle, à un sentimentalisme individuel, un peu bateau.

Finalement, un homme décide de mettre en scène sa mère mais c’est juste pour qu’elle puisse y dire « merci pour la violence subie ». Peut-on encore parler de maladresse à ce niveau-là ? 

Un autre enjeu de La chambre de l’écrivain est un travail autour de la question de la méta-théâtralité, qui, pareil, n’opère pas vraiment car l’ambivalence à l’intérieur des situations rend les discours trop visibles, trop didactiques. Ainsi, quand Martin interroge son père, le Paul vieilli, on est écrasé d’un coup par un discours sur les enjeux de la biographie, dépeinte comme impossible, « puisque dans le même temps que je cherche à l’atteindre je m’en éloigne forcément ». Les dialogues entre les personnages sont purement fonctionnels. Ils donnent des informations sur le déroulé de l’histoire ou sur des points de vue théoriques et littéraires plus ou moins intéressants, en tous cas barricadant bien la forme dans une esthétique un peu docte où la langue, étant tellement asservie aux enjeux de la fiction et de la pensée, ne devient jamais vraiment sensible, jamais vraiment personnelle. De la même manière, on croit peu à la rencontre avec la technicienne du théâtre, qui assène maladroitement des propos féministes un peu plaqués, intéressants en substance, mais n’ayant finalement aucun impact sur le déroulé de la forme. Une manière de faire porter à la pièce sa propre auto-critique, qu’on aurait aimé voir au travail plutôt que simplement nommée. 

 

© Simon Gosselin

 

La chambre de l’écrivain, écrit par Marc Lainé

Mise en scène par Marc Lainé

Scénographie : Marc Lainé

Assistanat à la mise en scène : Antoine de Toffoli

Collaboration à la scénographie : Stephan Zimmerli

Musique : Vincent Segal

Lumières : Kevin Briard

Son : Clément Rousseaux-Barthès

Vidéo : Baptiste Klein

Costumes : Dominique Fournier

Construction du décor : Atelier du Théâtre de Liège

Avec : Marcel Bozonnet, Stéphane Excoffier, Vladislav Galard, Adeline Guillot, Selma Noret-Terraz, Paolo Rezze, Vincent Segal, Charles-Henri Wolff

 

Du 02 au 05 octobre 2025

Durée du spectacle : 2h30

 

Théâtre des Célestins

4, rue Charles Dullin

69002 Lyon

 

Réservations : 04 72 77 40 00

www.theatredescelestins.com

 

Tournée :

• Malraux Scène Nationale Chambéry Savoie : du 16 au 17 octobre 2025
La Comédie de Valence : du 4 au 8 novembre 2025
MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis : du 22 au 25 janvier 2026
Comédie de Caen, CDN de Normandie : du 28 au 29 janvier 2026

 

 

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